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On en parle

Wax

Chantal Vérin, le 7 février 2025

Entre héritage et réappropriation

Dans le cadre de sa saison « Migrations », le Musée de l’Homme propose une exposition entièrement consacrée au wax, ce tissu coloré emblématique du continent africain, à la popularité sans précédent en Occident. Exposition en deux volets, l’un consacré à l’histoire de ce tissu, et l’autre à sa déclinaison sur la scène de la mode, du design et de l’art contemporain, en passant par une approche des aspects plus polémiques, notamment le lien avec l’histoire coloniale.

Souwere Serigne-Guey – Sénégal – 2e moitié XXe siècle -©MNHN J.-C.Domenech

Contrairement aux idées reçues, le wax n’est pas d’origine africaine. Son histoire atypique débute à la fin du XIXème siècle à l’initiative d’entrepreneurs néerlandais cherchant à reproduire les traditionnels batiks, tissu d’origine indonésienne teint grâce à une technique de réserve à la cire (wax en anglais). Ces imitations pénètrent en Afrique par l’intermédiaire de soldats ghanéens enrôlés à Java au milieu du XIXème siècle, qui emportent avec eux quelques-uns de ces tissus. La production est alors réorientée vers l’Afrique de l’Ouest, avec ouverture de succursales, avant d’être concurrencée par les compagnies asiatiques.

Monsengo Shula – Bouleversement du monde – Coll F et H Seydoux – ©G. Benoit

La richesse iconographique du wax etses vives couleurs contrastées sont les éléments clés de son appropriation par les populations d’Afrique de l’Ouest. Les motifs puisent leur spectaculaire diversité dans la faune et la flore, aussi bien que dans les actualités sociétales et politiques.  L’Hibiscus est le plus célèbre des motifs floraux. Associé au mariage, il peut signifier qu’une femme célibataire est à la recherche d’un prétendant. Le sac de Michelle Obama rend hommage à l’épouse du premier président afro-américain. L’œil de ma rivale exprime la jalousie et les tensions dans le domaine conjugal, et la souffrance au sein des foyers polygames. Famille montre une poule-mère et sa nombreuse couvée, alors que seule la tête du coq-mari est visible… Plus qu’un simple produit de consommation, c’est un tissu choisi avec soin, souvent porté à des moments marquants, naissance, mariage, funérailles. Il peut aussi signer une appartenance à une communauté, ou l’adhésion à une cause.

Dans ce commerce devenu lucratif, les femmes jouent un rôle primordial en tant qu’acheteuses ou vendeuses, mais aussi distributrices influentes depuis l’avènement, dans les années 1960, des « Nana Ben », riches femmes d’affaires proches des milieux politiques.

Omar Victor Diop – Oumy Ndour, Série Studio des vanités – ©Omar Victor Diop, Courtesy Galerie Magnin-A, Paris

Les connaisseurs distinguent les fancy, les superwax, les gaufrés, les glitter glam, dont les procédés de fabrication ne répondent pas au même cahier des charges.

Conscients que le wax est devenu un symbole fort associé au continent africain dans l’imaginaire collectif, des artistes du continent et des diasporas l’exploitent comme référent visuel.

Le style investit l’ameublement et la mode. Certains artistes questionnent les racines et les problématiques liées à la colonisation-décolonisation. D’autres dénoncent les excès de la société de consommation, depuis l’exploitation massive des ressources naturelles jusqu’au drame des migrants périssant en mer. Récits intimes et problématiques sociétales se mêlent. Autant d’œuvres engagées qui témoignent des transformations des identités culturelles, politiques et économiques des sociétés africaines.

Amulette – Sénégal – 2e moitié XXe siècle – ©MNHN J.-C.Domenech

Samuel Nnorom réinvente la notion de « tissusocial ». Monsengo Shuka célèbre avec humour la modernité à travers ses peintures colorées d’astronautes vêtus de wax symbolisant les bienfaits de l’interconnexion, tout en restant ancré dans ses origines congolaises. Enfin Le Passeport afropéen de Gombo désigne une personne d’origine africaine vivant en Europe, qui revendique une place légitimée par un document. De Tonia Nned, So many before me est un forttémoignage sur le pouvoir des Églises qui promettent des guérisons improbables à des populations éloignées des soins médicaux. Entre amusement, interrogation et décalage, l’évocation de ce tissu « africain » renvoie à l’imaginaire d’une Afrique stéréotypée que les artistes dénoncent, quand d’autres, a contrario, en font un bel outil de revendication identitaire, notamment parmi les afro-descendants de la diaspora.

Jusqu’au 7 septembre 2025
Musée de l’Homme – Paris 16ème

En Une : Didier Ahadji – La Vendeuse Ambulante de Pagnes – ©Galerie d’art contemporain Le Comoedia