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On en parle

Van Gogh et les étoiles

Chantal Vérin, le 1 juillet 2024

Un Poème cosmique

La Nuit étoilée, œuvre majeure de Van Gogh, revient pour un temps à Arles, à quelques mètres de l’endroit où la toile fut peinte en 1888.  Prêt exceptionnel du musée d’Orsay, consenti cette année dans le cadre de l’événement national des 150 ans de l’impressionnisme. S’ajoute à cela l’anniversaire des 10 ans de la Fondation Van Gogh Arles, en écho à la pose de la première pierre de la tour LUMA conçue par Frank Gehry. Une double occasion pour la ville de rayonner du génie artistique de son divin enfant.

 La Nuit étoilée, dite « sur le Rhône« , est exposée d’entrée en contrepoint de La Nuit d’Antoine Bourdelle (1904), tête sculptée issue d’un cauchemar de Füssli, tout entière amalgamée à l’ombre. Une petite œuvre talismanique de Victor Brauner, également titrée La Nuit, montre un personnage allongé contemplant la cohabitation paradoxale du soleil et d’un croissant de lune. Fil conducteur de l’exposition, les représentations de la nuit nées de l’imaginaire des artistes, illustrent bel et bien le climat intellectuel et visuel d’une époque marquée par les progrès dans la connaissance du cosmos, entre spéculations métaphysiques et réelles avancées scientifiques. 

Camille Corot – Étoile du Berger – 1864 – Musée des Augustins – Toulouse

Avant de réaliser la Nuit étoilée, Van Gogh a regardé les travaux de Millet et de Corot, œuvres populaires qui rendent hommage aux paysans et bergers qui furent les premiers à observer et à lire le ciel. Il connaît Jules Verne et son voyage « de la Terre à la Lune », et apprécie les poèmes cosmiques de Victor Hugo. Il est au courant de la découverte de Neptune. Le daguerréotype, ancêtre de la photographie, a capturé les premières images de la Lune et de la Voie lactée. François Arago donne des cours d’astronomie à l’Observatoire de Paris, et Camille Flammarion, astronome et poète, observe le passage des comètes et publie une « Astronomie populaire ».

Les images du cosmos se diffusent dans la culture visuelle du moment, et, sur terre, dans les villes, les réverbères à gaz éclairent depuis peu les rues, ce que rappellent des photos d’époque intégrées judicieusement dans l’exposition.

Georgia O’Keeffe – Lake George – 1922 – Collection particulière

Dans la Nuit étoilée, Van Gogh peint les quais du Rhône alors que les lumières modernes de la ville sont un spectacle inédit. La toile déroule un panorama nocturne qui respecte les moindres détails qui s’offraient à lui depuis l’endroit où il avait dressé son chevalet sur la rive du fleuve. Mais l’artiste ne s’est guère soucié de peindre un tableau astronomiquement exact. Les grands reflets jaunes sur l’eau, que l’on croit parfois être le scintillement des étoiles se reflétant dans l’eau sombre du Rhône, sont évidemment ceux des réverbères. L’alignement de l’étoile et du réverbère provoque une confusion intentionnelle sur l’origine des lumières, en une belle harmonie cosmique.

L’exposition explore la proximité de l’œuvre de Van Gogh avec celle de nombreux autres artistes. Ainsi les paysages avec réverbères de Léon Spilliaert et Georgia O’Keeffe, les tableaux nocturnes d’Edvard Munch considérés comme des hommages, les pastels d’Etienne Léopold Trouvelot (1827-1895) inspirés de ses observations au télescope des lumières stellaires, la sphère omniprésente chez Odilon Redon, et les représentations du cosmos de Kupka (1871-1957). On apprécie encore les constructions informelles des futuristes, la carte céleste de Lucio Fontana, et les partitions graphiques de Paul Klee. 

Léon Spilliaert – Quai d’Ostende sous la pluie – 1924 – Maître Binoche collection – ©Adrien Thibaut

Le grand et pesant livre en plomb et ses pages constellées de minuscules graines d’Anselm Kiefer s’inspirent des intuitions sur la naissance de l’univers du philosophe du XVIIème siècle Robbert Fludd, microcosme et macrocosme enchevêtrés. 

Règne à Arles la fascination pour les cieux étoilés qui mêle visions romanesques et découvertes astrophysiciennes. Art d’élévation…

Jusqu’au 8 septembre 2024
Fondation Vincent Van Gogh – Arles (13)

En Une : Van Gogh – Nuit Etoilée – 1888 – Huile sur toile – 73×92 cm – Donation sous réserve d’usufruit M. et Mme Robert Kahn-Scriber – Musée d’Orsay, Paris