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On en parle

Valérie Belin – Réalité ou Virtualité

Gersende Petoux, le 15 mai 2023

Photographe parisienne, reconnue à l’international lors de nombreuses expositions autant que dans des collections publiques ou privées, Valérie Belin aime jouer avec l’illusion, naviguer du réel à l’irréel et prendre le contrepoint des objets quand elle créée des natures mortes à partir de moteurs de voiture, d’amoncellement d’objets du quotidien dignes de cabinets de curiosité ou de véhicules accidentés ! L’idéal de beauté et la quête de la perfection ne sont pas l’objet de ses œuvres. Il s’agit davantage d’utiliser les différents modèles comme toiles de fond pour mieux s’interroger sur les tourments de l’âme, “L’incertaine beauté du monde” de notre société, comme titre l’exposition.

Être ou paraître pourrait-être le cœur de cible de son travail. Ses variations sur les mannequins, fussent-ils de chair ou de celluloïd, sont autant de questionnements sur le fantasmé et le concret, l’hier et le demain, posant les problématiques de l’identité, l’origine et la représentation.

Série All Star – Confessions of the lovelorn – 2016 – ©Valérie Belin

De sosies de Michael Jackson aux figures féminines, de bodybuilders huilés aux transsexuels, de mariées marocaines aux femmes noires sculptées en buste, ses icônes sont habillées, coiffées, maquillées, surimprimées, mises en scène, retouchées, décalées avec autant d’artifices que de procédés photographiques ou technologiques pour mieux nous inviter à réfléchir sur l’identité, le rôle ou l’image de chacun. Un même personnage est souvent décliné en plusieurs contextes : des mannequins éthérés offrent leur visage lisse au miracle du maquillage pour y peindre des motifs de Miro ou Kandinsky dans “Heroes” ou jouer les gammes des artifices comme dans la série “Painted ladies”, où chaque photographie porte le nom d’un pinceau de maquillage induisant les processus d’ombre, contour et l’estompe.

Les personnages réels nous donnent l’impression d’être de purs robots avec leur allure figée et leur regard vide. Les différentes “Métisses” de la série éponyme semblent dériver d’un prototype unique faisant oublier leur origine ethnique, véhiculant l’inexpressivité, la répétition et la standardisation. Dans “Modern Royals”, l’intemporalité est de mise quand la même créature élégamment assise et digne d’une égérie de Wong Kar-Wai, arbore autant de perruques, de robes et de poses qu’une star de cinéma des 50s immortalisée pour l’éternité. A contrario, ses mannequins de vitrine de celluloïd sont quant à eux transcendés par divers artifices et humanisés tendant à devenir réels à force de maquillage, perruque et mise en scène pour mieux donner l’illusion de la vie et du mouvement.

Série Black Eyed – Suzan I Calendula Marigold – 2010 – ©Valérie Belin

En référence aux grands maîtres de la peinture, elle réinvente les cabinets de curiosité, les natures mortes et vanités, usant là aussi de scénarios pour mieux se jouer de la réalité et créer l’illusion. Elle aime explorer les arcanes de la technologie, du numérique, de la retouche, usant de surimpression, de superpositions, de jeux d’éclairage atypique pour mieux évoquer les univers de la BD, du cinéma, du jeu vidéo, de la cybernétique. Elle joue avec les êtres et les objets, clignant de l’œil envers Warhol quand elle décline ses paquets de “Chips” en gros plan de noir et blanc, au cinéma dans ses univers Hitchcockien ou Lynchéen, ou dans ses trucages comme la série “Masques” où elle parvient à humaniser un Frankenstein de latex destiné aux effets spéciaux pour mieux susciter l’étrangeté de la vie en exacerbant celle du travestissement et du simulacre. 

Série Painted Ladies – Lady Brush – 2017 – ©Valérie Belin

Valérie Belin étonne, dérange, amuse, bouscule et interroge, mêlant le vrai et le faux et explorant les infinies possibilités de la photographie, d’hier à aujourd’hui. Cette première grande rétrospective d’une centaine de ses œuvres de 1990 à ce jour habille les murs du MUba de Tourcoing. Elle côtoie l’exposition Kaléidoscope que nous vous avions présentée et qui revisite de son œil amusé les collections du musée sous la focale de la gamme chromatique. Une raison de plus pour courir à Tourcoing !

Jusqu’au 27 août 2023 – Muba Eugène Leroy – Tourcoing (59)

En Une : Série Modern Royals – Portrait of Gaby – 2020 – ©Valérie Belin