« A 5 heures du matin, il est déjà assis devant son chevalet. Parfois, il se réveille la nuit pour aller peindre ». Telles sont les paroles de Sebastião Salgado, l’immense photographe franco-brésilien qui vient de nous quitter, parlant de son fils Rodrigo, né trisomique.
À Reims, Rodrigo expose pour la première fois son œuvre, « ce sera l’unique fois« , confiait, il y a quelques jours encore, Sebastião, au vu de la santé déclinante de son fils. Triste coïncidence qui rend l’exposition d’autant plus cruciale. Une centaine de dessins, peintures et quelques sculptures, jalonnent le parcours de « Rodrigo, une vie d’artiste« , scénographié par Lélia Wanick Salgado, la mère.
Enfant, Rodrigo n’apprend pas à lire, ni à écrire… Il aime la musique, dessine et peint sans relâche à la maison, et auprès de l’artiste peintre Michel Granger, voisin et ami de la famille. Sur des feuilles de papier toujours du même format, il élabore au feutre noir de forts motifs géométriques et asymétriques, puis avec des feutres de couleur (jusqu’à 70 tons différents), plus tard avec de la peinture acrylique, il choisit les coloris, les combine et il élabore de luxuriantes mosaïques. Selon Michel Granger, qui évoque de beaux moments de complicité partagés : « un travail libre où seul le plaisir impose ses règles, celui du dialogue avec la peinture, un travail d’une étonnante créativité« .
Dans l’église désacralisée du Sacré-Cœur, détruite en 1914 et reconstruite en béton dans les années 1950, le sous-sol est occupé par les ateliers Simon-Marq, vitraillistes multi centenaires au savoir-faire mondialement reconnu qui s’étend de la restauration de grands ensembles de vitraux à la réalisation des vitraux de Marc Chagall et ceux de la « Chapelle Foujita », à Reims. La nef abrite un centre d’art ouvert à la création de haut niveau, grâce au mécénat éclairé des Champagne Taittinger.
Les austères murs gris bétonnés sont désormais troués par les seize vitraux éclatants réalisés par l’atelier Simon-Marq d’après les motifs de Rodrigo, et définitivement intégrés à la façade. Selon Lélia Wanick Salgado, « sa façon de peindre avait tout pour rencontrer l’art du vitrail ». Elle a opté pour une présentation chronologique de l’œuvre de son fils, des dessins d’enfant joyeux jusqu’aux peintures plus récentes qui montrent d’autres facettes de sa création. Au fil du temps, la peinture prend de nouveaux contours en termes de densité et de format. Naguère vives, les couleurs sont adoucies. Dans les derniers temps les teintes s’assombrissent. Peu à peu la couche de noir prend la place de la couleur, comme pour dire, à travers ses créations, la fuite de sa propre vie…
Le vernissage, en présence de Lélia Wanick Salgado et de ses fils, est un grand moment de la vie de Rodrigo. Par la force des circonstances, l’événement s’est transformé en un dernier hommage au grand Sebastião. « Sans la trisomie, il aurait été un grand peintre reconnu », disait-il de son fils. Grande famille d’art unie autour du fils fragile.
Jusqu’au 10 septembre 2025
Église du Sacré-Cœur – Reims (51)
En Une : Sebastião, Lélia et Rodrigo – ©Olivier Goy