Feu Pierre Soulages, en noir d’abîme, fait respirer royalement le vide et la lumière. Celui qui évacuait toute description et toute anecdote exige un face à face peut être unique dans l’histoire de l’art. Il n’y a rien à voir dans l’ordre du réel, du visible ou du chromatique ordinaire, jouissif ou entrechoqué. Absolu dénuement de l’art. On regarde un tableau de Soulages pour avoir l’âge de la nuit, la nuit toujours recommencée.
Pour apprécier ce royaume irréel, immatériel, fluide et plastiquement toujours surgissant, il faut bouger le long des toiles. Le présent des mouvements impose la présence de l’art… Les noirs de Soulages, innombrables comme les regards, sont de somptueux miroirs aveugles qui ne prennent et ne voient que la lumière. Ces sombres signes sabrent et calligraphient magistralement l’espace.
Le sacré a fait sa demeure de l’art de Soulages. C’est devant une église, qu’enfant, il a décidé de consacrer sa vie à l’art. Et c’est dans cette même église aux 104 ouvertures, l‘abbatiale Sainte Foy, qu’il travaille à Conques de 1987 à 1994, pour créer les plus beaux vitraux du vingtième siècle. A l’occasion, il invente, avec des verriers de Saint-Gobain, un verre tout proche de sa peinture, d’une matière hétérogène à la fois non transparente et translucide. Matière et lumière fusionnent, vivent au rythme de leurs intimes variations, et s’imposent à l’ordre anodin des ombres habituelles qui naissent de la clarté trop visible et des objets du monde.
Les noirs à prodiges de Soulages, improbables et divers, absorbent toutes les certitudes, et la pensée se tait devant l’opacité qui vibre à chaque mouvement du corps et de l’œil. Le noir tableau, où s’anéantissent toutes les couleurs, devient lieu en soi. Le lieu des lieux. La lumière ne vient plus de l’ailleurs, du soleil ou des dieux, elle naît du seul tableau.
Ainsi Soulages a inventé un nouvel espace-lumière, dans le noir absolu et fascinant des désirs à jamais inaccomplis.