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On en parle

Pierre Soulages à Rodez

Christian Noorbergen, le 31 juillet 2023

Il y eut autrefois le vert de Véronèse, naguère le bleu de Klein. Il y a maintenant les noirs sublimes de Soulages, et leurs abîmes de lumière. Si la peinture de Goya vient de la nuit, si les Romantiques allemands s’enivrent de leurs mondes nocturnes, l’œuvre accomplie de Pierre Soulages, incroyablement creusée et maîtrisée, ne s’abandonne pas aux sourdes séductions du tragique.

Autour et au cœur du noir, il fait respirer royalement le vide et la lumière. Celui qui évacue toute description et toute anecdote exige un face à face sans doute unique dans l’histoire de l’art. Il n’y a rien à voir dans l’ordre du réel, du visible ou du chromatique ordinaire, jouissif ou entrechoqué. Inouï dénuement de l’art.

Pierre Soulages – 2020 – 74×165 cm – Collection particulière – Adagp Paris 2023 – ©Archives Soulages

Pour apprécier ce royaume irréel, immatériel, fluide et plastiquement toujours surgissant, il faut marcher et bouger le long des toiles. D’autant que les derniers Soulages montrés à Rodez, sont travaillés à cœur par des incisions, des entailles et des striures. Si la blancheur sait noyer la lumière, les noirs de Soulages, innombrables comme les regards, sont de somptueux miroirs aveugles. Ils ne prennent et ne voient que la lumière. Réfléchie par l’opacité, elle prend le monde du dedans, elle intériorise toute chose, et toute sensibilité. Soulages ignore les dehors. 

Pierre Soulages – 1949 – Brou de noix sur papier 32,3×25,6 cm – Collection musée Soulages – Rodez. Donation Pierre et Colette Soulages – © C. Bousquet

Matière et lumière fusionnent, vivent au rythme de leurs intimes variations, et s’imposent à l’ordre anodin des ombres habituelles qui naissent des chocs répétés de la clarté visible et des objets du monde. Une couleur dominante, insidieusement profonde, joue des modulations indéfinies qui traversent tout l’espace du mental. Des signes obscurs et verticaux créent un autre espace où se déploient tous les non-dits de nos vies secrètes. Les noirs à prodiges de Soulages, improbables et divers, absorbent toutes les certitudes.

Pierre Soulages – 2018 – 175×175 – Collection privée – ©Archives Soulages – Adagp, Paris 2023

Son langage est de totale nudité. Rien d’autre que la matière peinte. Le tableau, où s’anéantissent toutes les couleurs, par le noir de l’espace peint, devient lieu en soi. Le lieu des lieux. Il n’est plus la somme d’objets peints, mais ce qui anime la lumière qui étreint le spectateur. La lumière ne vient plus de l’ailleurs, du soleil ou des dieux, elle naît du seul tableau.

Jusqu’au 7 janvier 2024
Musée Soulages – Rodez (12)

En Une : Les derniers Soulages – 2010 – 2022 – Musée Soulages Rodez – ©T. Estadieu