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On en parle

Panthéon, Mémoires collectives

Gersende Petoux, le 1 juin 2023

Réunir deux artistes aux univers bien distincts, parfois dans un travail à 4 mains, est le défi que s’est lancé Vincent Bonduelle quand il a convié Martin Loume et Grégory Valentin autour de la thématique “Panthéon, mémoires collectives” !

Un bel hommage aux grands hommes, mais aussi aux grandes femmes de notre Histoire, fussent-ils panthéonisés ou simplement unis par de beaux projets et de nobles combats faisant avancer l’humain dans notre Société.

Grégory Valentin – Tête Coeur Corps Badinter Taubira Veil – 2023 – 117×140 cm

Pour Martin Loume, “[son] pinceau, c’est l’affiche !”. Dans les années 70, Jacques Villéglé les décollait déjà toutes scarifiées par des “lacérateurs anonymes”, les murs offrant en cette époque faste un réel vivier d’images politiques, commerciales, cinématographiques mais toujours poétiques et graphiques. Comme toute ressource de notre planète, la matière première s’est aujourd’hui amenuisée. Qu’importe !

Martin Loume – La liberté de la presse Jean Jaures – 2023 – 116×81 cm

La démarche de Martin Loume s’est ancrée dans un travail de composition et de construction. Tout comme son ami Jacques Villéglé, il aime dénicher les trésors délicieusement rétros du début du siècle dernier, raconteurs de notre patrimoine, ponctuations des petites histoires dans la Grande. Ainsi le journal “L’Humanité” offre ses colonnes à un Jean Jaurès clamant avec ferveur son “Discours à la jeunesse”, affiche superbement dédicacée par Jaurès lui-même en lettres de sang.

Martin Loume – Les années jazz, Joséphine Baker – 2023 – 81×65 cm

On le voit haranguer le peuple en ardent défenseur de la liberté de la presse “pour l’Humanité”. Dans une atmosphère de prime abord joyeuse, Jean Chassaing quant à lui nous présente une Joséphine Baker mutine arborant un sourire charmeur, emblème des années jazz. Les lacérations bardent de cicatrices cette femme courageuse au parcours de combattante, déchirée entre problèmes raciaux et résistance. De la même façon, Martin Loume fragmente le discours de Victor Hugo devant l’assemblée nationale de la IIème République en faveur de l’abolition de la peine de mort en une mosaïque au teint brouillé, incarnation de la difficulté à se faire entendre au cénacle !

Martin Loume – Discours pour l’abolition de la peine de mort Victor Hugo – 116×81 cm

Usant de son imagination et domptant techniques et supports au service de son travail graphique, Grégory Valentin met à profit sa formation de graphiste et son aptitude à capturer l’intégralité d’une œuvre littéraire de son choix pour en faire un tableau d’une étonnante puissance créatrice exaltant notre imaginaire. Magicien et scénographe, il joue avec l’écriture pour faire résonner en nous les œuvres de ces mêmes panthéonisés.

Grégory Valentin – Amour, Joséphine Baker – 2023 – 193×100 cm

En réponse aux affiches de Martin Loume, il imprime “Le discours à la jeunesse” de Jaurès sur un papier mat, mettant en exergue le mot “Humanité” destiné à marquer notre rétine autant que notre cœur.
Il réalise également trois acryliques sur toile de lin célébrant Joséphine Baker entourée cette fois de deux acolytes, Félix Eboué et Pierre Brossolette. L’une, résistante étonnante et femme métissée qui finit par épouser la France, chante ce qui est devenu son ADN, “J’ai deux amours”, tandis que les deux autres incarnent les avaries causées, en des temps peu amènes, par une couleur de peau ou par le courageux combat des résistants morts pour la France. Corps, cœur et tête font la loi quand Simone Veil, panthéonisée, voisine avec Christine Taubira et Robert Badinter ! L’une touche à notre corps dans ce qu’il a de plus intime, le droit à l’avortement laissant toute femme disposer librement du fruit de ses entrailles. La seconde brandit haut les cœurs la libération des mœurs et révolutionne la société en proposant le mariage pour tous.

Grégory Valentin – Tête Coeur Corps Badinter Taubira Veil – 2023 – 117×140 cm

Le dernier enfin s’adresse à notre éthique, notre code déontologique personnel, luttant pour abolir une monstruosité devenue caduque : la peine de mort. Dans ce triptyque imprimé sur dibond miroir, Grégory Valentin a voulu nous confronter à notre reflet balayant du regard, au gré des articles de Loi imprimés à l’endroit de son choix, notre tête, notre cœur ou la partie inférieure de notre corps.
Quant à la résistante Geneviève de Gaulle Anthonioz, elle inspire à nos deux protagonistes un travail à 4 mains basé sur “La Traversée de la nuit” qu’elle rédigea cinquante ans après sa libération de Ravensbrück. Son œuvre littéraire est mise en mots sur sept feuilles de couleurs superposées réalisées par Grégory Valentin et douloureusement scarifiées sur l’affiche au teint mat de Martin Loume.

Grégory Valentin – Quatre Alexandre Dumas – 2023 – 162×100 cm

Cette plongée dans un dégradé oscillant de camaïeux de bleus jusqu’à l’outre-noir traduit l’horreur des camps et témoigne des atrocités subies, avec toutefois une lueur d’espoir émergeant à l’issue de cette traversée par des lacérations bleu-blanc-rouge brandies avec fierté aux couleurs de notre Nation.
Autre femme remarquable, Marie Curie écrit une œuvre romancée ayant pour objet son savant de mari que Grégory Valentin restitue sur un caisson lumineux d’un vert phosphorescent, référence à la radioactivité à n’en point douter ! Du Petit Parisien, journal illustré à l’aune du XXème siècle, Martin Loume crée quant à lui une affiche surannée unissant dans leur laboratoire-antre du savoir, les deux époux aussi passionnés que nobélisés découvrant le radium !

Vue d’ensemble


Enclin à véhiculer les valeurs fondamentales de notre société, Vincent Bonduelle a choisi d’accueillir le visiteur avec trois articles de la Déclaration des Droits de l’Homme célébrant les droits fondamentaux que sont la liberté d’expression, de circulation et l’exil. Le 3CINQ, centre d’art contemporain lillois, idéal pour ses volumes et la lumière traversante qui baigne les lieux, est l’écrin rêvé pour cette exposition hors-les-murs.
Les deux artistes aux univers si éloignés en apparence dialoguent voire communient au travers des œuvres présentées, véritable invitation à réfléchir, penser, débattre mais aussi espérer, unir et partager.

Des élèves du Lycée Professionnel Mongy de Marcq-en-Barœul y seront accueillis le vendredi 9 juin, preuve que l’art est un formidable vecteur et que l’inclusion, la mixité, la parité et le dialogue ne sont pas de vains mots !

Jusqu’au 10 juin 2023
Vincent Bonduelle Art Contemporain
Le 3Cinq – Lille (59)