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On en parle

Musardes autour de Cassel, de Hans Op de Beeck à l’art topiaire.

Gersende Petoux, le 29 juin 2023

Il suffit de grimper au sommet du Mont Cassel pour visualiser le réseau de voies romaines qui se déploie en étoile en cette vaste contrée des Flandres, témoin du temps des Romains où Cassel était un grand nœud routier du Nord de la Gaule. Terre riche et convoitée, place forte des Flandres et théâtre de nombreuses batailles, Cassel devint définitivement française à la fin du XVIIème siècle, Louis XIV la gagnant à la France contre l’Espagne. 

En ce haut-lieu festif si l’on en croit le carnaval qui y sied deux fois l’an portant haut les couleurs de ses géants, Reuze Papa et Reuze Maman, il n’est point question de rester figé dans le passé ! Au Musée des Flandres, un lieu consacré aux grands noms de la peinture flamande, la jeune conservatrice et commissaire d’exposition Cécile Laffon affiche une volonté délibérée de faire dialoguer les grands maîtres flamands avec les œuvres contemporaines. Aussi invite-t-elle Hans Op de Beeck à l’occasion de cette exposition, Silence Résonance. L’artiste belge avait déjà célébré les 10 ans du musée en 2020, lui offrant pour cadeau d’anniversaire un frêle et gracile cerisier, Blossom Tree. Déployant ses branches fleuries, l’arbre embrassait avec poésie cette plaine flamande dont la ligne d’horizon se noie dans le lointain dans des teintes bleutées qui font penser que la mer est à nos pieds.

Hans Op de Beeck est un artiste aussi accompli que touche-à-tout. S’inspirer de notre société contemporaine, voire reproduire la réalité au plus près, lui sert de point de départ pour développer un univers poétique et onirique où le temps suspend son vol, que ce soit au travers d’installations immersives tridimensionnelles, de sculptures ou aquarelles monumentales, de réalisation et mise en scène de films artistiques et pièces de théâtre. Ses œuvres sont “une transformation de la réalité que je garde à ce jour comme le fil rouge de mes installations”, confie-t-il.

La scénographie de l’exposition offre une déambulation dans le musée où les œuvres de Hans Op de Beeck semblent puiser leur source chez les maîtres flamands ou en découler avec un naturel surprenant, oscillant entre opposition et filiation. Ses sculptures d’acier et de polyester sont un savant mélange de moulages et de parties sculptées, d’un gris intemporel et sobre qui apporte une touche d’éternité et de sobriété face à l’exubérance ou au florilège de couleurs des maîtres flamands.

Nicolas Eekman – Tyl et son monde – Huile sur toile – 1972 – Don Luce Eekman, inv. 2020.2.1 – ©Philippe Robin

“Vanité des vanités, et tout est vanité” clame cette Vanitas XL. L’installation démesurée envahit l’espace d’un crâne tridimensionnel, voisinant avec un chandelier, un papillon, une grappe de raisin aux grains lisses et joufflus. Le visiteur ébahi est alors libre de se questionner sur la fragilité et la fatuité de son existence, autant que sur sa petitesse face à la pérennité de l’art et l’intemporalité de cette question, Memento Mori… Un peu plus loin, natures mortes d’Hans Op de Beeck ou des peintres anversois dialoguent en résonance. Les sculptures d’acier et polyester de notre siècle font un clin d’œil complice aux grands maîtres, tels ces poules qui picorent du pain dur et ce chien assoupi au pied du tableau de Jan Fyt, satisfait de son trophée de chasse accroché au mur voisin. 

Hans Op de Beeck aime également rendre hommage à la poésie de l’enfance. Dans cette pièce où la dérision satirique des maîtres flamands résonne avec espièglerie, ses personnages enfantins sont figés dans un rêve qui n’appartient qu’à eux. Timo et Tatiana sont des allégories d’un temps de grâce et d’innocence suspendu, Timo jouant avec des billes de verre dans l’âtre de la cheminée tandis que Tatiana souffle une bulle de savon aux reflets d’éternité. A leurs côtés campent le Schijtmanneke, sculpture de terre polychrome représentant un homme qui défèque au faciès grimaçant, tout droit sorti des compositions de Bruegel l’Ancien, et Tyl l’espiègle, personnage facétieux de la littérature flamande, symboles indubitables du détournement subversif des artistes flamands depuis le XVème siècle, prêts à oser rire et se moquer de tout impunément !

Sculpture “The Horseman” de Hans Op de Beeck devant le tableau “Les Casselois dans le marais de Saint Omer” de Francis Tattegrain

De trépidantes et enthousiastes procession de carnavals peintes par Erasmus de Bie ou Alexis Bafcop débordent de gaité et d’énergie, témoins de ce moment festif que représentent les carnavals, bouleversement temporaire de l’ordre et des valeurs morales le temps d’une fête bouillonnante et désordonnée. Hans Op de Beeck répond aux maîtres flamands avec une danseuse venue de Rio, qui, désabusée et lasse, se pause le temps d’une cigarette, ses longs cils baissés sur l’envers du décor, respiration dans un monde à toute vitesse où il est salutaire de s’arrêter. L’incroyable perfection de ses courbes et la grâce de sa nuque coiffée de plumes toutes d’acier et de polyester vêtues sont des moulages, délicatement posés sur un fauteuil Chesterfield démesuré, sculpté quant à lui, invitation au repos confortable.

Autre personnage emblématique, The Horseman, cavalier de notre temps au torse dénudé campe fièrement devant la toile monumentale de Tattegrain, tenant tête au Duc Philippe de Bourgogne venu juguler la révolte des Casselois en 1430. Ce nomade des temps modernes est un voyageur qui traverse les siècles, un migrant d’hier et aujourd’hui en quête d’un Eldorado probablement inatteignable…

Mont des récollets

A ce titre, pour conquérir les environs et profiter de ce bel été, il est opportun de poursuivre la visite au “Jardin du Mont des Récollets”. Ce jardin maniériste de type bruegélien (Wouwenberghof en flamand), créé en 1990 et d’une superficie de 1,5 ha, est inspiré des peintures de la Renaissance flamande. L’architecte-paysagiste Emmanuel de Quillacq en est l’auteur et représenta notamment la région dans l’émission de France 2 “Le Jardin préféré des Français”, décrochant le label “Jardin remarquable”.

Berlingots Art Topiaire

Il était également partie prenante des journées mondiales de l’art topiaire, les 13 et 14 mai derniers. Unique et magique, il dévoile une mosaïque de parterres, un dédale d’ambiances où arbres et arbustes étonnent, tels ces berlingots aux facettes multiples. C’est un véritable patchwork d’essences variées tantôt à la taille géométrique, tantôt entrelacs d’essences variées. Des fenêtres taillées dans les haies cadrent notre point de vue sur la campagne environnante et nous replongent au temps de la Renaissance flamande quand les peintres les utilisaient pour définir l’arrière-plan de leurs scènes religieuses ou portraits.

Et pour régaler nos papilles autant que nos mirettes, l’estaminet offre une pause salutaire pour déguster planches de harengs marinés frais et rollmops fondants ou autre potchevlech agrémenté de frites croustillantes, le tout arrosé de bière fraîche, Flandres oblige !!!

Autant d’opportunités d’agrémenter un bel été.

En Une : Masques et photographie de Reuze Papa – Carnaval de Cassel

Jusqu’au 3 septembre 2023 – Silence Résonance – Musée de Flandre
Jardin du Mont des Récollets
Cassel (59)