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On en parle

L’image de l’urinoir de Marcel Duchamp, doit-elle être protégée ?

Nicole Esterolle, le 4 décembre 2023

Existe-t-il une propriété morale et intellectuelle de l’inepte, qu’il conviendrait donc de protéger d’on ne sait trop quoi ?

Comment, par exemple, protéger les droits moraux, intellectuels et financiers de la centaine d’urinoirs de Marcel Duchamp, d’origine diverse et variée, dispersés à travers le monde ? Un vrai casse-tête pour l’ADAGP !! (Gestionnaire des droits d’auteurs dans les arts graphiques et plastiques)

Oui, on peut dire que la pissoire de Duchamp est bien la figure la plus emblématique du “contemporain” en art. C’est une sorte de monument national que le monde entier nous envie.  Et c’est pour cela que, à l’instar de la Joconde, elle est, pour certains idolâtres, l’œuvre “contemporaine” qui nécessiterait le plus de protection à tous égards.

Mais voilà, c’est aussi l’œuvre dont l’enchevêtrement des problèmes de protection est le plus inextricable.

Voici quelques aspects de ce terrifiant entremêlement d’inepte, de crétinerie arrogante, de grotesquerie, de perversion mentale, d’inhumanité, de cupidité crasse, de cuistrerie verbeuse : autant de vertus consubstantielles à ce dit “art contemporain”, dont l’urinoir duchampesque est la figure de proue. 

1 — D’abord le fait qu’il ne soit pas certain du tout que cet urinoir soit une idée de Duchamp, et que la rumeur dit même qu’elle viendrait de son excellente et très foutraque copine la baronne new-yorkaise Elsa von Freytag-Loringhoven, qui aurait fait auparavant l’œuvre intitulée “Dieu”, constituée d’un siphon et d’éléments de tuyauterie en plomb.  Avant de se suicider peu de temps après. 

2 — Ensuite, qu’Elsa et Marcel n’ayant pas d’enfants, ni entre eux, ni séparément (hors les millions de petits épigones  décérébrés du prophète à travers le monde et autres sbires du service public de la culture), il devient donc impossible de verser des droits à des ayants droit n’existant pas. Et l’on se demande, dès lors que ces droits sont semble-t-il tout de même ramassés, qui peut bien les empocher en douce.

3— Et puis, il y a ce problème plus global de la propriété intellectuelle des ready-made. Ah, les ready-made, quelle belle invention ! Mais un sac de nœuds juridique inimaginable, dont vous pouvez découvrir l’ampleur et la complexité sur internet.

4— Il y a aussi cette croquignolesque affaire du martelage et compissage de l’Urinoir par Pinoncelli (autorisé par Duchamp lui-même : c’est Pinoncelli qui me l’a dit) et le procès qui a été fait à ce dernier, par le Centre Pompidou, qui a été finalement débouté, car, si j’ai bien compris,  il n’a pu prouver qu’il était propriétaire de l’œuvre. Le tout se compliquant par le fait que Pinoncelli, ayant lui aussi signé la pissoire profanée, devenait de facto pour l’ADAGP co-propriétaire moral et intellectuel de la chose compissée par lui. Le comble du cocasse ! (ici je me pose la question des droits d’auteurs concernant le Piss – Christ de Serrano.)

5 – Il y a le fait que (si j’ai bien compris aussi), sa première Fountain de 1917 ayant disparu, et le “prophète à son insu”, Duchamp lui-même l’ayant oubliée, a dû en réaliser une bonne huitaine de nouvelles, dans les années 50-60, pour les signer et faire fructifier financièrement la notoriété de sa plaisanterie urinatoire initiale . C’est l’une d’entre elles qui fut acquise en 1986, avec douze autres ready-made, par le Centre Pompidou, pour la somme d’un million trois cent mille francs.

6 – On me signale également qu’un certain nombre de ces objets en faïence figurent dans différents musées d’art contemporain en France, d’origine on ne peut plus douteuse, mais dont chaque musée défend farouchement son droit à l’image avec l’aide de l’incontournable et redoutable ADAGP.

7 – Enfin, notons qu’en novembre dernier, Sotheby’s a vendu à New York une “Fontaine”, imaginée en 1917, mais éditée en 1964 en huit exemplaires. Il est parti pour 1,7 million de dollars, un prix record pour l’artiste. Il a été acheté par un amateur jusque-là inconnu, un certain Dimitri Daskalopoulos, qui déclarait à l’issue des enchères sa volonté de le confier à un musée grec. Le nouveau propriétaire savait-il qu’à propos de cette pièce l’artiste  Duchamp  disait : “On peut faire avaler n’importe quoi aux gens ”? Je ne vous dis pas l’énormité des droits de suite empochés probablement par l’ADAGP.

Ainsi les tribulations planétaires de cette petite plaisanterie urinaire devenue monument national et étendard d’une armée de palotins conceptualo-décervelés au service des réseaux bureaucratico-financiers, illustrent-elles très exactement le gigantesque foutoir imbécile et sans queue ni tête, qu’est l’art dit contemporain.