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On en parle

L’explosion du Street Art

Nicolas Delamotte Legrand, le 12 novembre 2021

Des peintures murales de certaines cités de l’antiquité jusqu’aux tags contemporains des grandes métropoles du XXIème siècle, l’habitant des villes s’est exprimé allègrement sur les parois de son environnement familier.

Un art social et sociétal

Nasti – La République – Place de Pierre – Strasbourg – ©Nicolas Delamotte Legrand

Longtemps considéré comme un acte de dégradation et de vandalisme, le Street Art est devenu de nos jours un des courants artistiques les plus prisés des amateurs d’art et des grands collectionneurs. Les oeuvres ont même fini par s’exhiber sur les cimaises des galeries et des musées ainsi que dans les salles de ventes où elles s’arrachent parfois à des prix exorbitants. Cette pratique longtemps dénigrée et considérée comme “hors-la-loi” est aujourd’hui réclamée par de nombreuses collectivités et institutions pour promouvoir la création et la culture locale et pour adresser des enjeux de société.

Trouvant son origine aux Etats-Unis à la fin des années 60, cette pratique multiple est dominée par la patte masculine. Comme pour marquer un territoire, à coup de tags, les graffeurs se battent et communiquent par messages interposés. Les graffitis leur permettent, au-delà de conquérir des espaces, de faire entendre leur voix et revendications auprès de leurs concitoyens.

Erase et Arsek – Bouteille à la mer – Quai Desaix, Rue du Maire Kuss – Strasbourg
©Nicolas Delamotte Legrand

Depuis les années 80 cet art envahi les villes de France dans une mutation “americano-française” où les deux cultures s’entrechoquent. Chaque ville se peuple d’artistes urbains qui leur taillent à coup de bombes de peinture un costume sur mesure : Pochoirs, collages, tags, graffitis et fresques se propagent dans les centres villes, les zones artisanales et portuaires. On identifie assez bien si les graffitis recouvrent les murs d’une Amsterdam, d’un Berlin ou de Paris.

Mlle Terite – Regain – Place du Château – Strasbourg – ©Nicolas Delamotte Legrand

Dans une dynamique “énantiosémique” l’architecture des villes s’urbanise toujours plus malgré une volonté d’édification éco-responsable. L’Art dans la ville et le graffiti participent alors à nos prises de conscience liant un dialogue entre les habitants et favorisant les échanges entre administrés et politiques. L’artiste s’approprie ainsi sa ville en lui façonnant un visage contemporain, revendicateur et solidaire.

L’Art urbain, un art “hors-la-loi” devenu institution

Dan23 – Grand’rue – Strasbourg – ©Nicolas Delamotte Legrand

Malgré la splendeur de leur création, ces artistes sont encore parfois accusés de dénaturer le paysage. Leur pratique reste pour une partie de la population comme dérangeante. Au-delà de la question de l’esthétique, leur mission est en effet bel et bien de questionner leurs contemporains, pour réveiller les consciences. Par leurs œuvres ils interrogent et bousculent notre quotidien, en toute simplicité sur le coin d’un mur, au détour d’une rue. Parfois avec gravité et souvent avec humour, ils partagent leurs désirs et leurs réflexions sur notre société et notre monde.

Strasbourg et le Street Art

Les Graffitis n’ont pas toujours étaient les bienvenus dans les rues de la capitale européenne. Sur la ligne de front des graffeurs strasbourgeois on retrouve incontestablement depuis le début des années 90 l’artiste Dan23. Après quelques années d’illégalité du fait d’une politique rigide dans la gestion de l’espace public, il peut aujourd’hui s’exprimer plus librement. Ses créations font indéniablement partie de l’ADN de la ville de Strasbourg. Partout où l’on se promène les yeux attentifs multicolores de ses œuvres nous dévisagent. Personnages inconnus ou personnalités historiques et héroïques, accompagnés souvent de citations poétiques et de pensées philosophiques, les portraits de Dan23 exhibent des visages splendides et engagés.

Dan23 qui peint – ©Dan23

A la question : Comment décrirais-tu la carte d’identité picturale des graffitis de la ville de Strasbourg, l’artiste me répond “Je pense que la carte d’identité picturale d’une ville correspond à son ouverture d’esprit. Le street art tout comme le graffiti témoigne d’une liberté d’expression. L’art se doit d’éveiller les sentiments mais également les consciences et a donc fondamentalement sa place au sein des villes. Strasbourg a trop longtemps verrouillé cette liberté d’expression populaire au profit d’une culture institutionnelle mais depuis 5 ans, ça s’arrange et désormais à titre personnel je peux m’exprimer sur des sujets qui a mes yeux sont d’une importance vitale pour faire grandir l’humanité. On assiste doucement à une restriction des libertés, une dictature imposée par un groupe de personnes au détriment de la majorité. L’exemple de l’écologie est significatif de ce problème car on nous impose une surproduction et des produits qui détruisent nos écosystèmes. La population n’arrive pas à sortir de ce système capitaliste et va dans quelques années détruire son humanité. L’artiste a donc un rôle à jouer et la rue lui permet de s’exprimer sur des enjeux de société.”

Par son art, Dan23 souhaite ainsi transmettre des valeurs et sensibiliser toutes les générations à l’environnement, au respect du vivant dans une démarche bienveillante. Sur la fresque “Einstein” réalisée en 2016 pour l’école Louise Schaeppler, il peint un immense portrait d’Albert Einstein accompagné d’une citation du Prix Nobel : “Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.” Cette fresque malheureusement détruite aujourd’hui reflète la volonté de nombreux graffeurs de dialoguer avec leurs concitoyens et de les interpeller.

Dan23 – Einstein – Fresque Ecole Louise Schaepper – 2016 – Strasbourg
©Dan 23

Dans cet univers dominé par le masculin, les graffeuses prennent peu à peu leur place. Virginie Bergeret, Delphine Harrer, Léontine Soulier, Céline Clement, Rensone et Missy pour ne citer qu’elles, investissent avec vigueur murs, panneaux et boîtes aux lettres à coup de chefs d’oeuvres.

Après avoir étudié les Arts appliqués et le graphisme, Missy évolue dans la communication visuelle. Introduite dans le milieu du graffiti par Rensone, elle dépose depuis 2015 sur des perchoirs métalliques ou bétonnés ses oiseaux enchanteurs. Concernant cette réflexion sur une carte d’identité picturale de Strasbourg, Missy me répond “Je pense que l’art dans la rue doit avant tout être libre d’expression. Il y a les puristes ou ceux qui veulent suivre la mode, ceux qui sont ultra engagés ou ceux qui veulent juste mettre une touche de couleur. Peu importe, chacun doit pouvoir s’exprimer comme il l’entend et sans pression. Tout le monde peut avoir sa place. À Strasbourg, on trouve beaucoup d’œuvres peintes sur des boîtiers électriques ou des bennes à verre. Ce sont pour la plupart des commandes organisées par le collectif Colors. Ce projet apporte de la vie et de la couleur mais ce serait encore mieux si la ville nous mettait à disposition des murs voir des façades. C’est un support d’expression beaucoup plus agréable et adapté et ça apporterait encore plus de punch dans la ville. Pour l’instant, il faut encore sortir des sentiers battus pour aller dénicher des fresques un peu plus imposantes.”

Missy – Sans titre – Rue Sainte Marguerite – Strasbourg – ©Nicolas Delamotte Legrand

La ville et son art urbain entre coups de poing et coups de coeur

En 1994 la ville de Strasbourg entame un mouvement de démocratisation de l’art urbain. Une commande artistique associant l’Etat, la Communauté Urbaine de Strasbourg et la Société des Transports de la ville permet l’installation d’œuvres d’artistes reconnus le long des lignes de tram. Premier pas contribuant à la transfiguration du paysage urbain et à une transformation des mentalités, il faut néanmoins encore attendre quelques années pour que la culture populaire commence à être tolérée puis acceptée dans l’espace de la ville. Strasbourg ne souhaitait plus être uniquement une ville-musée. Elle embrasse ainsi peu à peu la créativité de cette mouvance artistique jusque-là souterraine.

From the Air We Share – Collectif FAILE – Musée d’Art Contemporain – Strabourg –
©Nicolas Delamotte Legrand

Accompagnant cette mouvance, le Musée d’art contemporain de la ville en collaboration avec la Galerie Danysz invite à l’occasion de ses 20 ans le projet “From the Air We Share” du collectif FAILE. Avec pour point de départ un poème de ce duo de Brooklyn, l’ensemble des seize murs peints expose images, graphismes et vers poétiques reliés à l’histoire et au patrimoine de Strasbourg. Les parois extérieures du musée se transmutent ainsi en un mural monochrome monumental. 

Place de la Vignette – Strasbourg – ©Nicolas Delamotte Legrand

Les graffitis font définitivement partie de l’identité de Strasbourg. Art parfois éphémère, exposé à toutes les intempéries, les œuvres apparaissent et disparaissent au grès des projets et des saisons. Il était important donc de constituer des archives de ce patrimoine artistique unique, dans une démarche de conservation. Une cartographie de ces innombrables créations de Street Art a donc été constituée. Cette carte et les archives de l’art urbain de la ville sont consultables sur strasbourg.streetartmap.eu. Elle nous permet de naviguer dans les rues de la ville au gré des créations artistiques multicolores. Le site nous propose également une multitude de liens sur l’actualité Street Art et graffitis en Alsace.

L’invitation est lancée !

En Une : Jaek el Diablo – Vision – Boulevard Wilson – Strasbourg