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On en parle

Les histoires contées en gravures colorées de Claudy Gielczynski

Gersende Petoux, le 17 janvier 2024

Des études de dessin industriel pour affûter ses crayons, une passion inextinguible pour l’art depuis une quarantaine d’années (déjà !), Claudy Gielczynski s’affirme comme un autodidacte absolu en tant qu’artiste. Peintre reconnu marqué par sa rencontre avec Kijno, il se consacre aujourd’hui essentiellement à la gravure.

Étude de trois portraits au fusain – 40×50 cm
Feuillage du chemin – Gravure – 50×60 cm

Il me reçoit dans son superbe atelier ouvrant sur un jardin en hiver, un jardin tisane comme il se plaît à dire. En cette saison des frimas où les arbres déplumés nous offrent leur ramage sans pudeur et tirent leur branchage vers un ciel laiteux, il fait bon et beau chez Claudy ! Le poêle attise notre conversation et attire nos tabourets vers un feu bienvenu (- 6 dehors, qui dit mieux !). Je ne sais où poser les yeux et concentrer mes émotions. Claudy me fait le grand jeu, dit-il avec malice, sort les toiles des réserves, pose ses bronzes d’arbre-femme et autres têtes sculptées sur la table de l’atelier, déploie des trésors de gravures, me montre les matrices, les supports, les carnets à dessin en strates sur les étagères, le tout sous le regard noir et blanc bienveillant et hiératique de son père, ancien mineur de l’Escaut. 

L’arbre aux enfants – Gravure – 50×60 cm

L’art comme vecteur de restructuration: Claudy a su réparer les âmes écorchées de gamins en déserrance durant toutes ses années de vie professionnelle dévolue au métier d’éducateur spécialisé, puis de directeur de centre social. Il fédère aujourd’hui encore les enfants de son quartier quand ils peignent de motifs joyeux les structures protégeant les jeunes troncs ou construisent des cabanes vivantes façonnées de branches de saules têtards voisins qui s’enracinent peu à peu et refeuillissent à chaque printemps ! “L’art te ramène à l’essentiel, et dans essentiel, il y a essence“. Ces gammes lexicales mènent à l’arbre dans tous ses états. Le mot “racines” est clé dans l’univers de Claudy, “les racines de ton histoire, tes attaches. La transmission de la culture slave fut bannie lors de son enfance. Critère à l’époque d’une intégration réussie, sa grand-mère avait pour interdit de leur enseigner le polonais. Qu’à cela ne tienne, aujourd’hui Claudy traduit cet enracinement dans sa culture d’origine, particulièrement en gravure, cet art qui permet “de changer l’écriture“.

Claudy Gielczynski, c’est un monde de péripéties romanesques, une Odyssée à travers les terres et océans de ses rêveries, imaginées et imaginaires. Car l’artiste revendique le voyage sans bouger.  Ou presque ! Il suffit de regarder par-delà les baies vitrées de son atelier et plonger dans cette jungle qui lui tient lieu de jardin pour voir des femmes pousser dans les arbres. Amateur de masques, de figures pleines et douces au front bombé et lèvres lippues, il aime percher ses têtes ou bustes sculptés dans les arbres, les offrir au vieillissement naturel de la lumière et des intempéries. La plus belle patine n’est-elle pas celle du temps qui passe, une fois le vernis des convenances effacé ? L’inspiration, celle de dame-nature et de ses trésors végétaux ? 

Masque dans les arbres

Ses gravures se tournent et se retournent, se lisent dans tous les sens, fourmillent d’animaux cachés, de femmes-barques, d’arbres de vie parsemés d’enfants, de villages-eldorados. Ces entrelacs de visages, silhouettes, végétaux, animaux ouvrent le chemin des rêves et grouillent de récits, histoires contées ou racontées. Une des gravures retient mon attention, un prénom, Joseph. Afin de rendre hommage et amour à un petit garçon disparu trop tôt, Claudy une fois encore a pu transcender la difficulté de l’exercice grâce à la gravure. Le visage souriant de l’enfant est auréolé d’une jungle féconde, d’arbres solidement enracinés, d’animaux merveilleux. Ici un chat malicieux, un Mohican égaré, le hibou “gardien de vie”, sans oublier le poisson, symbole de résurrection. Là une barque gravée de son prénom, sans doute destinée à franchir le Styx vers un ailleurs apaisé.

Il y eut les années peinture : le rouge et noir, l’hymne à la femme, des nus et maternités, des corps dansants, des portraits hauts en couleurs exposés en vitrine à l’heure des confinements, celle des lieux de culture fermés et des visages masqués. Il y eut aussi les variations autour du Jazz, de la musique, notamment les illustrations du Festival Mozart de Lille. Il y eut encore les fresques grandeur nature, qui aujourd’hui colorent les quartiers de Lambersart, Valenciennes ou Bondues. Mais aussi la sculpture, des bronzes élégants, des visages doux sculptés dans le béton pour déjouer les matériaux et démocratiser l’exercice, des nains de jardin espiègles, dont l’un d’eux grignote sans vergogne l’étagère de l’atelier. Aujourd’hui Claudy Gielczynski aime graver, en toute liberté. Cette discipline alliant avec subtilité dessin et sculpture offre un véritable terrain de divagations, fruits de ses contemplations, fussent-elles face à son jardin des délices ou lors de déambulations sur les rives de la Deûle voisine. “Je ne veux pas m’interdire de cheminer“, au propre comme au figuré ! Point de presse, ni de produits chimiques, seule la gouge entaille les matrices. En résultent des gravures magnifiques, des essais parfois moins évidents, mais surtout des couleurs, de la joie, de la vie, des narrations, des rencontres !

Madré de dios – 65×92 cm
Louise a sa fenêtre – 73×92 cm
État d’âme – 73×92 cm

Jean-Luc Moreau présente également en galerie certaines de ses œuvres, des iris élégants, des arbres enracinés dans la vie, aux côtés d’artistes déjà mentionnés sur Aralya, Caroline Chopin, Christophe Catelle, Françoise Abraham… Claudy sera aussi l’une des 80 personnalités présentées et photographiées par Olivier Avez dans son ouvrage : “Regard d’artiste, au-delà des apparences” à paraître dans quelques mois. 

Pour ma part, c’est dans cet atelier que je passe quelques heures bleues enchantées, du bleu de ses yeux à celui de ses trésors gravés. Je quitte les lieux avec la promesse de revenir au printemps voir les multiples branchages se remettre en feuilles et ajouter l’étoffe de la verdure et des bourgeons à cette scène de vie !

En Une : Vue d’atelier