Sainte Geneviève, du haut du piédestal où Paul Landowski l’a juchée, ne reconnaît plus sa ville. Pourtant la Sainte patronne avait su la protéger du temps qui passe, des famines, des incendies et des destructions. Elle avait même tenu tête à Attila. Et voilà qu’un très minuscule virus à couronne dentelée l’abandonne à sa seule détresse.
Le grondement permanent de la circulation, les sirènes des ambulances et des voitures de police, les milliers et milliers de passants trop pressés qui ne lèvent jamais les yeux, les touristes qui défilent en masse, plan de la ville et appareil à selfies à la main…, plus rien, tout a disparu.
La ville, en hibernation contrainte, s’est figée. D’étranges beautés inoubliées apparaissent. De rares promeneurs masqués et furtifs (ont-ils bien leur autorisation en poche, n’ont-ils pas dépassé le périmètre autorisé ?) découvrent une ville évidée. Ils écoutent les oiseaux. Ils s’émerveillent.
Lentement, sans risque aucun, ils traversent en diagonale les avenues. Ils se font de loin, parfois, un petit signe amical, ou changent de trottoir. On ne s’approche plus des bords de Seine, naguère chantés par les poètes et les peintres, d’Apollinaire à Marquet. Ils sont maintenant interdits, hélas, mais faire pause regardante est grand plaisir éphémère, sur l’un des nombreux ponts de Paris, en savourant pour un temps trop rare de somptueuses vues à peine pensables.
Pont de l’Archevêché et Notre-Dame de Paris, dans sa majesté meurtrie.
Pont Mirabeau en chantonnant : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine/ Et nos amours/Faut-il qu’il m’en souvienne … »
Pont de l’Alma et son zouave qui chante avec Reggiani :« Il y a des moments / Maintenant où j’en ai par-dessus la tête »
Place de la Bastille, un petit éléphant, d’habitude piétiné et invisible, est gravé au sol. Il fait allusion à l’éléphant de bronze rêvé par Napoléon. Le petit Gavroche des Misérables s’est caché dans la colossale maquette en plâtre de 24 mètres de haut… Le Génie doré qui danse dans le ciel comme à cloche-pied en rigole encore.
En ces temps confinés on s’est posé un peu
Loin des courses effrénées on a ouvert les yeux
Sur cette époque troublée, ça fait du bien parfois
Se remettre à penser
Grand Corps Malade