< retour aux Articles
On en parle

Lacan

Chantal Vérin, le 14 mars 2024

Quand l’art rencontre la psychanalyse

““Lacan, l’exposition” est là pour faire voir, connaître et reconnaître l’impressionnante présence de Lacan (1901-1981) dans notre temps”.
Sous le commissariat des historiens de l’art Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, associés aux psychanalystes Gérard Wajcman et Paz Corona, le Musée Pompidou-Metz consacre pour la première fois une exposition d’envergure à cet intellectuel charismatique, penseur et psychanalyste hors-norme du XXème siècle, par ailleurs grand amateur d’art et collectionneur. Il possédait “l’Origine du monde“ de Gustave Courbet, masquée par un panneau coulissant peint par André Masson, son ami, ainsi qu’une vaste collection allant de l’anthropologie à l’art moderne.

Gisèle Freund – Jacques Lacan, Paris Copyright : © RMN gestion droit d‘auteur / Fonds MCC / IMEC / Dist. RMN-Grand Palais / Gisèle Freund Photo: Medienzentrum Wuppertal

300 œuvres de 80 artistes, dont de très fameux chefs-d’œuvre, sont exposées, que l’on peut ranger en trois catégories : celles que Lacan a regardées, voire analysées, celles sur lesquelles ses contemporains ont porté regard et, enfin, celles créées après la disparition du maître. C’est dire que son chemin intellectuel a été bordé par des artistes, depuis les surréalistes jusqu’à Marcel Duchamp, en passant par Diego Velasquez (les Ménines) et Lucio Fontana (La Fente) et tant d’autres. Le propos écarte toute interprétation psychanalytique des œuvres d’art, aucune œuvre n’a été conçue à partir des textes lacaniens comme illustration d’une pensée. Au profit d’un regard croisé entre œuvres et concepts développés par Lacan dans ses séminaires et sa pratique.

Caravage – *Narcisse* – 1597-1599 Italie, Rome, palais Barberini, galerie d’Art antique Copyright : © Photo SCALA, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / image Scala

En préambule, une frise chronologique et des documents d’archives replacent l’homme dans son époque. Sur grand écran, un extrait du film Télévision de Benoît Jacquot, tourné en 1974. Jacques Lacan, de face, s’adresse de sa voix si particulière au spectateur.
Derrière lui, une toile d’André Masson. Suivent les douze sections du parcours, articulées autour de la rencontre entre œuvres et concepts fondamentaux. “Le stade du miroir”, révélateur de la question de l’identité et du Je, est évoqué avec l’installation au mur du grand miroir scindé de Félix Gonzales-Torres (Orpheus Twice) et le “Narcisse” du Caravage, condamné à “se connaître dans la source”. “Lalangue“, néologisme qui désigne une langue non codifiée, une substance sonore faite de tous les phonèmes possibles, se traduit par des jeux de mots, des lapsus et l’évocation du “Coup de dés” de Stéphane Mallarmé. “Le nom-du -père”, devient “le Non du Père” chez Louise Bourgeois, Niki de Saint-Phalle, et la figure du père est mise à mal chez Hans Bellmer ou Claude Cahun.
Dans la section “Topologies”, on constate l’intérêt d’artistes contemporains pour les préoccupations de Lacan, Jean-Michel Othoniel par exemple avec “Le nœud de Lacan“, inspiré de la double structure de la bande de Moebius.

René Magritte – *The False Mirror* [Le Faux Miroir] – 1928 Huile sur toile – 54×80.9 cm Copyright : © Adagp, Paris, 2023 / Photo © Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence

Pour aider à se repérer dans l’extraordinaire profusion des notions et noms propres, un important catalogue, conçu comme un abécédaire à entrées multiples, reprend tous les termes référencés. Ainsi à la lettre C, on tombe sur Cahun, chute, cinéma Clérambault, cogito, corps morcelé…, avec renvoi sur un texte documenté et les reproductions attenantes. “Œil” nous entraîne vers la “Sainte-Lucie de Syracuse” de Zurbaran (1635), avec ses yeux énucléés sur un plateau, détachant, selon Lacan, le regard de la vision. Honneur au “Faux Miroir” (1928) de René Magritte, cet œil immense qui ne reflète ni le spectateur ni le peintre, mais un ciel parsemé de nuages. Anish Kapoor troue sa grande et belle sculpture en albâtre d’une large cavité. “C’est par le “regard” que j’entre dans la lumière, et c’est du “regard” que j’en reçois l’effet.”   

Maria Martins – *The Impossible III* – 1946 – Bronze – 80×82,5×53,3 cm – New York, The Museum of Modern Art, Copyright : © Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence / © Maria Martins

Au-delà de la référence faite par Lacan aux chefs-d’œuvre de la peinture et de la sculpture, voire de la photo, l’exposition explore les relations avec les intellectuels et les artistes de son époque, Pablo Picasso, Dali, James Joyce, Michel Leiris. Raymond Hains, l’artiste le plus lacanien de l’exposition, annotait scrupuleusement les nombreux livres de psychanalyse qu’il conservait religieusement dans des valises métalliques. 

Parfois ardue, l’exposition n’en reste pas moins très ludique. Les avatars de “l’objet a” sont légion, dressés, voilés, anamorphosés dans les arts antique et renaissant, et ce, de la Villa des Mystères à Pompéi aux Ambassadeurs de Hans Holbein jusqu’au portrait phallique de Marie Bonaparte, “Princesse X”, par Constantin Brancusi. Les proverbes brodés d’Annette Messager démontent les préjugés machistes. Les questions sociétales, de genre, et de travestissement qui agitent la société actuelle sont déjà posées.

Ghada Amer – *And the Beast* – 2004 – Courtesy of the artist and Marianne Boesky Gallery, New York and Aspen Copyright : © Ghada Amer / Adagp, Paris, 2023

Enfin, “El Consultorio del psicoanalista”, de Leandro Erlich, permet de s’allonger sur le divan de l’analyste. Et d’entrer dans Lacan par les grands voies (voix ?) de l’art ?

Jusqu‘au 27 mai 2024
Centre Pompidou-Metz – Metz (57)

En Une : Lucio Fontana – *Concetto Spaziale, Attese (T.104)* – 1958 – Peinture vinylique sur toile, incisions – 125×100,5 cm – Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne Copyright : © Fondation Lucio Fontana, Milano / by SIAE / ADAGP, Paris, 2024 / Photo : © Centre Pompidou-Metz / Marc Domage / 2023 / Exposition Lacan, l’exposition. Quand l’art rencontre la psychanalyse