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On en parle

La sculpture, entre hier et demain

Christian Noorbergen, le 5 mai 2020

La sculpture est la plus ancienne des langues de l’humanité. Elle n’a que faire des gadgets de l’hyper modernité. Sa rareté la protège des faiblesses du temps et des ordinaires contingences.

L’homme habite le monde quand il façonne les matières données par la nature

Grande samare d’érable à Chaumont-sur-Loire

L’homme habite le monde quand il façonne les matières données par la nature, les transforme et se projette en formes éternisées. Il quitte la grotte primitive, s’aventure au-dehors et pose ses traces. Les sculptures d’os, de bois et de pierre apparaissent, figures magiques créées avant les premières peintures. Il n’y a pas de progrès en art : une œuvre de la préhistoire est aussi belle que les plus grandes créations de notre époque. 

Les portes de l’univers s’ouvrent par la sculpture. Les premières œuvres de l’histoire de l’humanité se retrouvent dans les racines de la statuaire moderne, de Raoul Ubac à Giacometti, et tel contemporain sacralise à vif les premières matières du monde, ainsi le bois (Hans Jorgensen, Coskun), la pierre (Rückriem, Denis Monfleur ), ou des matériaux complémentaires et composites (Brigitte Terziev).

Longtemps été séparée des murs, la sculpture a toujours eu une fonction magique, sacrale, et noblement politique.

Si la peinture suit de manière fusionnelle les courbes de l’histoire, la sculpture contemporaine est plus autonome.  Si la peinture s’accroche parfois aux surfaces médiatiques, s’il lui arrive de succomber aux attraits de la décoration ou de l’anecdote, ces faiblesses sont plus rares en sculpture. Longtemps été séparée des murs, la sculpture a toujours eu une fonction magique, sacrale, et noblement politique. Ce n’est peut-être qu’au 20è siècle que la sculpture a abandonné ses fonctions d’antan, et qu’elle s’est diversifiée à l’extrême, touchant tous les matériaux, du verre (Antoine Leperlier ) à l’osier ( Erik Barray ), et rejoignant parfois la plasticité et la fluidité de la peinture.

Les sculpteurs ont un idéal plus rustique que celui des peintres, lesquels adhèrent davantage aux mouvances de l’histoire de l’art. Les sculpteurs gardent davantage le contact avec la matière : la dureté minérale utilisée et l’éloignement par rapport aux registres de l’esthétique ordinaire confèrent à la sculpture une superbe indépendance, et plus que la peinture, elle s’intemporalise… De même, si la peinture se définit aisément par les courants artistiques habituels, plus ou moins aisés à répertorier, il est plus délicat de parler de courants en sculpture, car ce serait mettre la sculpture à l’arrière-plan de la peinture, et dans son sillage. 

Marginalisée, la sculpture en impose cependant par l’effet de masse qu’elle a toujours établi

Le grand public connaît davantage les peintres que les sculpteurs. Moins de galeries, moins d’expositions, moins de présence médiatique. Marginalisée, la sculpture en impose cependant par l’effet de masse qu’elle a toujours établi, et par elle, l’homme retrouve davantage ses sources éternelles et syncrétiques. Une sculpture ne se sépare jamais de la relation avec les hommes et la terre, passerelle heureuse entre élément naturel, roche, bois, pierre, matériaux contemporains… et le corps humain. 

L’immobilité convient à la sculpture tandis que le mouvement, fut-il lent, précipite la sculpture dans l’aventure de l’éphémère, l’une des voies de la modernité. Remarquable exception, cependant, avec l’œuvre inspirée de François Weil, aux lents mouvements d’univers. Ulrich Rückriem, laisse le bloc quasi tel quel, avec simplement ici où là, quelques percées de trous ou quelques fentes laissées telles quelles, dans une matière extrêmement brute. La pierre est à l’abri du discours. Intouchable, elle secrète une sacralité archaïque.

Volok de Robert Schad

A l’inverse, la sculpture contemporaine (de Hans-Günter Herrmann à Eugène van  Lamsweerde) s’allège parfois de la pesanteur, quittant l’attrait du sol pour s’élancer dans l’espace. Avec les machines à vent de Van Thienem, la sculpture va au bout d’elle-même. Il ne reste plus que des traces proposées, à la limite d’un repère de vent.