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On en parle

Kaléidoscope, le spectre des couleurs

Gersende Petoux, le 9 janvier 2023

Le MUba de Tourcoing nous présente aujourd’hui ses collections revisitées sous la focale de la couleur. Ou de l’absence de couleur. Déambulation dans les salles de ce superbe édifice, hôtel particulier aux accents Napoléon III.

Une affiche drolatique focuse sur le tableau “Réunion de 35 têtes d’expression” (1835) de Louis Léopold Boilly avec humour et fantaisie. Ces faciès grimaçants et caricaturaux grouillent sur la toile, la quasi monochromie de l’œuvre étant rompue par les touches vives de couleurs primaires que proposent les bonnets phrygiens de ces petits bonshommes.

Le ton est donné !

Scénographie chromatique pour un parcours ludique dont le fil conducteur est la couleur. Les toiles se répondent, dialoguent, contrastent, se disputent l’attention, la promenade est enchanteresse et bouscule les codes établis. Un accrochage inattendu pour ce musée-bijou, écrin de l’art et de l’histoire.

Les siècles défient en effet la chronologie, notre œil se laisse guider par l’esthétisme d’un classement peu conventionnel. D’un côté le noir et blanc, classique et pur, de l’autre le florilège des couleurs de l’arc-en-ciel. 

Pour le premier volet, les dessins de Rembrandt ou Picasso, les études de nus d’Eugène Leroy ou la lithographie “Les habitants” de Michel Haas (1996) rendent grâce à la géométrie, au graphisme, à l’épure, aux pleins et déliés… Ce ne sont pas seulement des dessins ou gravures, mais aussi des photographies, eaux fortes, sculptures, peintures, jusqu’à la consécration ultime d’un Soulages.

Pat Steir (1940) – Sans titre – Gouache, craie grasse et fusain sur papier – 1985
Dépôt du FRAC Grand Large-Hauts-de-France

Quant à l’américaine Pat Steir, elle invite le visiteur à accéder au premier étage du musée avec sa monumentale peinture “Peacock waterfall” (1990), dépôt du FRAC Bretagne. Son œuvre ornemente avec majesté le fabuleux escalier du musée, coulures de peinture blanche sur un fond noir, immersion et contraste, alliance parfaite de l’art contemporain dans un lieu d’exception chargé de faste et d’histoire.

De l’autre côté, la couleur exulte.

Les salles se succèdent aux teintes de l’arc-en-ciel, évoquant la palette d’un peintre ou une jolie boîte à aquarelles. Le terrible tableau de Jean Fautrier, “Portrait de ma concierge” (1922), aux couleurs morbides d’un verdâtre mauve, miroir de mort, rivalise de froideur avec l’installation givrée d’argenté de Xavier Noiret-Thomé, “Nymphes” (2006) pour mieux nous glacer les sens.

Jean Fautrier (1898-1964) – Portrait de ma concierge – Huile sur toile – 1922
MUba Eugène Leroy

En matière d’autoportraits, celui de Monet (1917) reflète les teintes fleuries des nymphéas dans un florilège de vert, jaune et violet, donnant à ce visage rubicond la plénitude d’un vieillard épanoui, qui contraste avec le réalisme expressionniste du double autoportrait d’Hervé Jamen (1996).

Claude Monet (1840-1926) – Portrait de l’artiste – Huile sur toile – 1917
Dépôt du Musée d’Orsay RF 2623

A l’étage, Sol Le Witt a exécuté spécifiquement pour ce mur du musée une œuvre conceptuelle, “Dessin mural 659” (1990). Dans ce lavis d’encre, cercles et arcs hypnotisent le visiteur offrant un contraste chaud/froid du rouge défiant le bleu et jouxtant le non moins graphique “Melting Point Chandigarh – secteur N°17 – Photo N°1” (2006) de Stéphane Couturier. Cette superbe photographie, dépôt de Lille 3000, rend hommage à la ville indienne pensée par Le Corbusier, avec une façade de béton rehaussée de Street Art, illustration de l’art contemporain, vecteur de modernité, qui réchauffe de clins d’œil colorés ce lieu grisaillant et néanmoins mythique.

Stéphane Couturier (1957) – Melting point, Chandigarh – secteur n°17 – photo n°1 – Photographie C-Print sous Diasec – 2006 – Dépôt collection lille3000

Cette exposition Kaléidoscope est une belle immersion dans les collections du fond permanent du musée des Beaux-Arts de Tourcoing, à voir ou découvrir avec cet accrochage aussi inattendu que surprenant. Le musée, rebaptisé MUba Eugène Leroy, propose pour finir en beauté une salle consacrée à ce peintre tourquennois au rayonnement national et international disparu en 2000. La donation exceptionnelle de ses fils de près de 400 œuvres en 2009 en font la richesse, une belle occasion de parcourir les trésors de la métropole lilloise…

Jusqu’au 12 février 2023 – MUba Eugène Leroy – Tourcoing (59)

En Une : Affiche – Louis Léopold Boilly (1761-1845) – Réunion de 35 têtes d’expression – Huile sur bois – 1825 – MUba Eugène Leroy