Dessinatrice textile en Colombie, Isabel DuqueLevitt est arrivée en France dans les années 1990, complétant sa formation à la Manufacture des Gobelins. Une vingtaine d’années dans la Haute Couture parisienne lui ont permis de tisser des liens indéfectibles avec les fibres de toute nature. Pour cette amoureuse des marchés de son pays natal, source inspirante de vie et de techniques de tissage ancestrales, les usines et ateliers sont autant de sources d’inspiration et de créations.
“Je suis une glaneuse de licières”, proclame-t-elle. Pas question de jeter, de perdre ni de détruire. Après avoir monté le tissu sur son métier à tisser, la voilà qui noue, tresse, tisse, roule, torsade, joue avec les textiles et les éléments. Elle introduit ainsi la canne flèche, cette variété proche du bambou utilisée dans la fabrication des chapeaux. Adepte du recyclage, cette artiste, heureuse de déclarer en cet âge béni de la retraite “pouvoir créer ce que je veux”, ne jette rien ! D’un sac de clés récupérées lors de la rénovation de la Banque de France par son architecte de mari, elle habille des tableaux tissés où ces clés suspendues sont autant de mystère.
Dans cette exposition, elle nous propose trois temps de son travail : des installations ou tableaux de cordes nouées, enroulées, cascades de fils de laine, coton, crin de cheval ou soie, amusantes petites carottes à croquer ou myriade de grains de maïs.
Une jolie série de petites pièces, appelée “Le temps suspendu”, rend hommage quant à elle à une période que l’on aimerait parfois ne pas avoir connue mais qui fut, pour bien des artistes, l’occasion de créer et de penser autrement, le temps d’un confinement. Celui d’Isabel, plus long que prévu lors d’un retour en Colombie, fut introspectif et inventif, donnant lieu à ces tableaux délicats et discrets. Pour ses œuvres tissées enfin, elle roule le tissu, s’inspire des techniques des villages colombiens où sont fabriqués les sacs sur les marchés, reprenant cet entrelacs en impair qui décale la trame de couleur insérée, la faisant apparaître en une diagonale mouvante et glissante.
Carolina Rodriguez partage avec Isabel, outre leurs racines colombiennes, le respect de la nature et l’empreinte des techniques traditionnelles et des matières brutes utilisées en Amérique latine et transposées dans leurs créations. Par-delà l’amour et le travail du textile, des fibres organiques et du travail tissé, Carolina initie une démarche d’intégration, ses œuvres rendant grâce à la France et à ses matières premières, puisqu’elle travaille notamment le lin, dont des échantillons lui ont été donnés par une entreprise locale. “J’aime travailler en équipe, de A à Z”, affirme Carolina, “tout part toujours d’un dessin !”. Elle enseigne aujourd’hui les arts plastiques en espagnol à l’Université de Lille et revendique un parcours complet et éclectique lui ouvrant le champ des possibles.
Sa formation initiale en Colombie fut axée sur les arts plastiques et visuels, les techniques de la vidéo, photographie, peinture, gravure, complétée d’une année d’échange à la Sorbonne autour du cinéma et de l’audio-visuel. Aux Beaux-Arts de Lille, elle suivit également une formation en scénographie, puis une autre en mime corporel dramatique dont elle partage les influences avec les comédiens, danseurs et acteurs qui l’entourent.
Partant d’une série de dessins, elle nous offre in situ son projet SaMa: photos, vidéo, mais aussi une chorégraphie de danse contemporaine et des costumes, puisant leur force en Afrique de l’Ouest. Réalisées avec des matières organiques dans le respect de la nature et repassées avec des herbes aux vertus d’”énergie sacrée”, ses créations nous reconnectent à la terre, fédèrent un rituel contemporain, insufflent force et énergie aux deux protagonistes.
SaMa c’est en effet l’interaction de deux figures pour obtenir une force féminine, une alliance visant à changer les relations et fédérer des actions grâce à la guerrière (la colombienne Tatiana) et la sorcière (la mexicaine Daïra). Aux origines, le bestial, l’animal, entraîne la guerrière dans un combat infini, contre le machisme, le patriarcat, les abus et excès, les violences faites au corps féminin telle l’excision, voire cette vague déferlante de violences conjugales en Europe. La sorcière quant à elle guérit, répare, sauve.
Il est à noter que SaMa, récompensé en avril 2022, sera présenté en juin 2023 à la Quadriennale de Prague, la jeune et brillante Carolina est sans nul doute promise à un avenir aussi radieux que son sourire et son accent chantant !
Ces magnifiques rencontres et les projets émergeants qui s’y adjoignent suivent un fil non point attribué à Ariane mais à Maria Claudia Lemaire. Autrefois artiste dans le textile elle aussi, cette colombienne dû faire un choix à la naissance de son 3ème enfant : laisser la place à un berceau ou à un métier à tisser. Bien évidemment elle choisit alors la trame et le tissage d’un tissu familial uni, heureux et solide ! Passionnée par les rapports humains et la démarche artistique, Maria Claudia souhaite aujourd’hui montrer de nouveaux artistes “les aider à faire le premier pas”, “à se positionner vis-à-vis de celui qui regarde”, les exposer, être leur porte-parole. Après 14 années en Ukraine où elle enseigna les arts plastiques tout en développant son projet artistique, elle formalisa, à son retour en France en 2021, son activité autrefois “familiale et intermittente” en créant sa galerie nomade. Elle offre ainsi bénévolement son temps, son enthousiasme, sa vitalité, son carnet d’adresses et monte des projets, ébullitionne d’idées…
Sa nouvelle et troisième exposition au Moxy est un fil conducteur entre deux artistes mais aussi l’occasion de présenter une conférence autour du textile et de la Colombie ou de collaborer à des ateliers de sophrologie, preuve en est si besoin était que l’art est source de bien-être et thérapie de l’âme.
Pour des instants latins inoubliables et joyeusement colorés, le Moxy et d’autres lieux de la métropole reprendront des airs de fête et de partage fin mai à début juin prochain, lors d’une semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes. Vivement les beaux jours !!!
Jusqu’au 26 février 2023 – Le Moxy – Lille (59)
En Une : Isabelle Duque Levitt – Temps suspendu – 5x25x18 cm
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