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On en parle

James Ensor et la nature morte en Belgique

Chantal Vérin, le 21 décembre 2023

En 2024, Ostende, Anvers et Bruxelles uniront leurs forces pour une passionnante et complémentaire année James Ensor (1860-1949). Ce très grand artiste est né à Ostende, où il a vécu toute sa vie. C’est donc à cette belle ville de la côte belge que revient le lancement de la riche programmation autour de la vie et de l’œuvre d’Ensor. Le Mu-ZEE d’Ostende détient quelque 370 œuvres du maître, dont le chef-d’œuvre “L’homme au chapeau fleuri“, et gère de nombreuses archives, lettres, photos, et publications du plus grand intérêt.  Passionnant éclairage sur la vie de cet artiste polyvalent, peintre, dessinateur, graveur, mais aussi musicien et compositeur autodidacte. 

James Ensor – Zelfportret met bloemenhoed – 1883 – Collectie Mu ZEE – Foto Hugo Maertens

L’exposition “Rose, Rose, Rose à mes yeux !“, au Mu-ZEE, est la première exposition mondiale consacrée aux natures mortes d’Ensor, soit plus d’un quart de ses 850 tableaux ! Ces œuvres complexes et intrigantes prennent d’autant plus d’importance qu’elles se situent dans le cadre de l’évolution de ce genre en Belgique entre 1830 et 1930. La juxtaposition d’une quarantaine d’œuvres d’Ensor avec les natures mortes de ses contemporains, d’un intérêt certain malgré leur méconnaissance, offre un aperçu de cette riche tradition picturale du XIXème siècle en Belgique, d’Antoine Wiertz à Frans Mortelmans. A l’époque, la signification allégorique et symbolique du XVIIème siècle s’est corrodée, la “nature morte” représente des objets immobiles et muets, excluant toute inventivité. 

James Ensor – Pierrot en skelet in een gele toga – 1893 – Museum voor Schone Kunsten Gent – Foto Hugo Maertens

Souvent réduit à des compositions florales joliment peintes, le genre se situe au bas de la hiérarchie académique. Genre mineur, et terrain de jeu des femmes artistes qui ne pouvaient s’orienter vers une peinture trop innovante (la Belgique en comptait des centaines au XIXème siècle). En dépit de qualités reconnues par le milieu artistique, ignorées généralement par l’histoire de l’art, leur nom a quasiment disparu. “Berthe Art (1857-1934) allie à l’élégance à la perception distinguée que lui donne l’apanage de son sexe, une vigueur d’expression de coloris absolument masculine”, pouvait-on lire à propos du tableau “Nature morte avec éventail, masque mortuaire et plume de paon, représentant le masque mortuaire de “L’inconnue de la Seine”. Ce portrait énigmatique d’une noyée a inspiré Rilke et Aragon. Anna Bloch, elle intégrait dans ses natures mortes et ses intérieurs des œuvres d’art de sa collection personnelle. Elle était au demeurant membre du remuant groupe des XX, dont Ensor fut l’un des membres créateurs, aux côtés de Louis Dubois, Alfred Bellis, Alfred Verhaeren, qui entendaient secouer les canons existants de l’art. Y furent invités Claude Monet et Odilon Redon.

James Ensor – Chinoiseries – 1907 – Deurle MDD – Foto Cedric Verhelst

James Ensor est un artiste de son siècle, il a donc peint des marines, des intérieurs et des portraits, des sujets historiques et bibliques, et réalisé plus de deux cents natures mortes. Dans l’intimité de son atelier situé dans les combles de la maison familiale bourgeoise, encombrée d’un bric-à-brac d’objets destinés à la vente dans l’étonnant magasin de souvenirs de sa mère, où il puise ses images de base, statuettes de Vénus, poupées orientales, conques et coquillages, carafes, et toute un ensemble hétéroclite de masques. Du quotidien de la cuisine, il retient les éléments du repas : viandes accompagnées de choux et de carottes, poissons gluants, dans “Raie et hareng, un poulet plumé “Flacon bleu et poulet“.
Il s’exerce en peignant en petit format sur carton rose des esquisses d’objets d’intérieur et des “chinoiseries” exotiques. Il élabore une mise en scène chargée, étudie l’influence de la lumière que l’on retrouve dans ses grandes compositions.

Hubert Bellis – Daags na carnaval – Collectie M Leuven – Foto Dominique Provost

Dans “La mangeuse d’huîtres“, son chef-d’œuvre de 1882, les couleurs, le jeu de reflets, et la transparence impressionnent. Son style, critiqué par certains passéistes pour l’absence de lignes et de contours et pour son aspect inachevé, évolue sans cesse. Reprenant souvent certains thèmes, influencé par Chardin, il réinterprète par exemple la première version de la Raie, non plus inerte, et tête redressée, elle regarde le spectateur. Dans les innombrables natures mortes aux légumes et fruits, plus rien ne tient du réel, tout est composition osée au service de la couleur. Dans un tableau admirable (non exposé, mais faisant partie du fonds du Mu-ZEE), “Le Christ apaisant la tempête“, de 1891, James Ensor se révèle en maître de restitution de la lumière, en peintre amoureux des fortes couleurs et de visions flottantes, entre rêve et légende. 

Un catalogue détaillé, richement illustré et documenté accompagne l’exposition.

Rose,Rose,Rose à mes yeux – Jusqu’au 14 avril 2024
Mu-ZEE Romestraat 11 à Ostende – Belgique

En Une : De oestereetster – 1882 – Collectie KMSK Rik Klein Gotink public domain