< retour aux Articles
On en parle

Jacqueline Salmon – “Périzoniums, études et variations”

Chantal Vérin, le 22 août 2022

Le Musée Réattu, monument remarquable du patrimoine architectural arlésien, abrite les collections du musée formées à partir de la donation de Jacques Réattu, peintre du XIXème et enfant du pays, et d’œuvres de grands artistes du XXème, tels Zadkine, Richier, ou Alechinsky. Un important département est consacré à la photographie, en résonance avec les “Rencontres photographiques” qui se tiennent chaque été en Arles.

Le Point aveugle, Périzoniums, études et variations”, tel est le titre de la stupéfiante exposition du travail photographique de l’artiste et plasticienne de renom Jacqueline Salmon, sur un thème inédit, le périzonium.

Ce terme spécifique désigne le linge porté par le Christ autour des reins. Le point aveugle, notion d’ophtalmologie, correspond à une petite portion de la rétine dépourvue de photorécepteurs, aveugle et occultante sous un certain angle. L’exposition de 230 tirages d’un très haut niveau artistique résulte de l’étude passionnante d’un sujet qui, jusque-là, n’a guère interpellé les historiens de l’art. 

Le point aveugle – Italie XIVème siècle – 2022

Jacqueline Salmon a tout d’abord réuni, via l’exposition lyonnaise sur le thème du drapé, toute une collection de spécimens de drapés, “objet qui cache autant qu’il attire l’attention sur une partie de l’anatomie”. Puis elle s’est penchée sur les représentations peintes ou sculptées du Christ dénudé. Elle a compulsé frénétiquement catalogues et archives, parcouru le musée du Vatican et de nombreuses églises, arpenté musées et galeries, fouillé dans les réserves et le plus souvent photographié in situ. De toutes les crucifixions, descentes de croix et épisodes de la Passion, elle n’a conservé que le périzonium, cet élément situé au centre de la composition de l’œuvre.

Le point aveugle – Zurbaran – Cano – 2022

Rassemblant un vertigineux corpus exponentiel, Jacqueline Salmon a classifié et constitué des “planches”, selon la méthode de travail des botanistes. Sur la manière codifiée byzantine, sur la subtile transparence des primitifs italiens, sur l’extravagance des volutes de Rogier van der Weyden, sur les “barboteuses” bouffantes de Zurbaran, les coquets volants de Lucas Cranach ou Hans Baldung Grien, les nœuds virtuoses parfois suggestifs et disproportionnés retenus par des anges, et encore sur la présence récurrente, peut-être allusive, du sang. Artistiquement recadré, privé de son contexte narratif ou religieux, cet accessoire majeur s’éloigne du sacré et devient sujet à part entière. En supprimant la tête du Crucifié, et les éléments du décor de la scène, Jacqueline Salmon délimite un champ photographique symboliquement chargé, où convergent parfois des visages ou des mains qui effleurent ou caressent l’espace intime…

En choisissant le point de vue de face, de profil, ou en contre-plongée, l’artiste poursuit sa réinterprétation du thème. En intégrant des œuvres de Bacon, Sutherland ou Chagall (un Christ ceint d’un “talit”, châle de prière juif), elle met en lumière la réinvention perpétuelle du thème. En laissant apparaître les reflets des verres qui protègent le tableau, les fissures et autres accidents, l’artiste insiste sur l’évidente matérialité personnelle de son œuvre photographique.

Le point aveugle – Cranach – 2022

Avec rigueur et modestie, Jacqueline Salmon invite à poursuivre cette quête d’images, pour l’étendre hors du continent européen, et intégrer les domaines qui ont été exclus, ex-voto, vitraux, voire représentations populaires…

Un beau livre, très documenté et illustré de nombreuses reproductions, et un catalogue accompagnent l’exposition orchestré par Andy Neyrotti, responsable de la conservation des collections du Musée Réattu.

Jusqu’au 2 octobre 2022 – Musée Réattu – Arles (13) 

En Une : Le Point Aveugle – Caravage – 2022