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On en parle

Guillaume Caron, l’homme qui peignait à l’orée des forêts

Gersende Petoux, le 18 septembre 2023

De ma première rencontre avec Guillaume Caron, je garde l’impression d’un homme singulier aussi secret que volubile, un ermite revendiquant “être bien dans [sa] grotte. Ce personnage hors du commun aux anecdotes inédites est un véritable rêve éveillé pour celle que je suis, amoureuse de parcours insolites et d’histoires extraordinaires ! 

Voilà une dizaine d’années que Guillaume se définit comme artiste peintre à part entière, lui dont le parcours fut empreint d’art et de création pendant plus de 30 ans. Doté d’un coup de crayon talentueux, il intègre l’ESAAT de Roubaix en arts appliqués en 1985 puis acquiert un diplôme en architecture d’intérieur. Artiste multiple aux idées foisonnantes, il refuse le diktat des contraintes et étiquettes et s’essaie à la peinture, aux fresques en extérieur (2000m2 en deux ans !), au mobilier et mobilier urbain, au design, aux happenings et évènementiels, tels le Majestic et tapis rouge cannois, déployant son talent dans les univers de la publicité, la musique, la mode, le design, l’architecture, le graphisme…

Amoureux inconditionnel des bestioles depuis tout gamin, Guillaume Caron s’amuse à héberger chauves-souris et araignées gigantiques à la démesure du lieu qu’il habite. Les drôles de petites bêtes l’ont toujours fasciné et plus que régalé au gré de séjours réguliers, une vingtaine d’années durant, en Amazonie. Littéralement piqué par cette forêt mythique, au sens propre comme au sens figuré, il a été si souvent dévoré par les insectes que les piqûres pourraient aujourd’hui lui être fatales. Interdit de séjour en forêt amazonienne ? Qu’à cela ne tienne ! Guillaume la convie chez-lui, faisant pousser plantes luxuriantes et végétation exubérante par-dessus sa pièce de vie, sa terrasse intérieure ou son jardin-jungle que des ouvertures du XVIIème siècle laissent entrevoir avec délice, entre têtes de singe, peaux de bêtes ou écorces géantes.

Vue de l’atelier de nuit

Lieu de vie et atelier sont indissociables, la fusion complète et ne pouvant se concevoir en dehors de lieux d’exception. Aussi est-ce une fortification Vauban de 700m2 en Belgitude non loin de la frontière française, pré carré oblige, qui lui offre lieu de villégiature et de création artistique. Splendide terrain de jeux pour un ancien architecte d’intérieur adepte des ambiances inédites et de mises en scène originales pour ses œuvres au quotidien ! Le salon “musique et images” est un cocon feutré où le vert est à l’honneur, les murs de la cuisine de 9 mètres de haut, qui dit mieux, offrent une scène de théâtralisation pour ses créations, quant aux murs épais fortifiés, peut-on rêver meilleur support pour des accrochages intempestifs ?

Génie militaire hors pair, Vauban semblait également précurseur en matière de normes HQE et autres avancées environnementales ! La température du fort est constante, le lieu rassurant et protecteur, résolument invincible et intemporel. Adepte d’habitats peu ordinaires, propices à l’inspiration et aux histoires chuchotées par de fantomatiques résidents, Guillaume vivait au préalable dans la chapelle désacralisée de l’ancien couvent des Petites Sœurs des pauvres à Roubaix, où les hivers parfois rigoureux givraient les vitres de l’intérieur ! Mais c’est à Menin-Belgique qu’il poursuit aujourd’hui l’aventure entrecoupée de séjours vénitiens.

Revenons à l’Amazonie ! Guillaume y rejoignit en premier lieu un ami entomologiste. Imprégné d’ambiance tropicale, il peignait alors la forêt, véritable influenceuse de son langage pictural, jouant avec la pluie et les coulures aléatoires qui en résultent sur ses toiles, à l’époque “on sentait le végétal dans mes œuvres comme l’affirme Guillaume. Portraitisant les autochtones au fil des ans dans la même posture, il exposait ponctuellement à Cayenne. De la rude et parfois dangereuse forêt, d’une moite tropicalité redoutable, à la douceur ineffable de la Sérénissime, apaisante et lumineusement ensoleillée, la transition est étonnante ! Sans doute le glissement d’une vie trépidante et agitée vers des instants cocons, tout en clapotis de lagune et dolce vita vécue dans le chapelet insulaire de la Cité flottante ou en des palais ancrés dans les terres vénitiennes. Ce sont des pans de gondole qui jonchent à présent le sol de son fort, volutes de bois à sculpter ou simplement à décorer.

Spontanéité et sincérité sont les fondements de son travail basé sur l’abstraction. “Il faut aller vite, sinon on s’habitue et là ça devient de la figuration. Il faut alors changer complètement la lecture. Il laisse libre cours à son imagination sans limite sur toile, papier ou bois ; il dessine, peint, sculpte, brassant peinture, encre, acrylique, huile, adhésif, feuille d’or, aérosol, fourbit des cadres en laiton… Commencer par le noir est une évidence, cette base sur laquelle vient s’imprimer ensuite le ballet des couleurs, sans oublier l’adhésif qui crée l’accident et apporte une matière. Même enlevé, il conserve une présence, ne serait-ce que dans l’atelier où le voilà ensuite harponné sur le mur joliment dénommé “fourrure des couleurs”, support des toiles en gestation. 

Les toiles de Guillaume sont abstraites, “sans titre” car il se refuse à influencer celui qui les regarde. Place au rêve, à l’imaginaire et à l’interprétation ! Pourquoi vouloir orienter notre ressenti, nos émotions ? Preuve en est cette démarche expérimentale lors de l’exposition à l’Hospice d’Havré de Tourcoing en 2020 où chaque visiteur se devait d’écrire sur un bout de papier ce qu’il voyait avant de le glisser dans l’urne, test de Rorschach grandeur nature !  Guillaume exposait alors sous l’égide de Régis Dorval avec qui il collabora quatre années durant. Cet immense et mythique galeriste lillois aujourd’hui disparu lui offrit un tremplin dans le monde de l’art et lui permit alors de figurer aux côtés de grands noms tels Herbin, Vasarely, Guyomard, Eugène Dodeigne, Martin Hollebecq, Paul Jenkins, Ladislas Kijno, Edouard Pignon etc. Guillaume évoque avec nostalgie ces modernes qu’il retrouvera bientôt sur les cimaises du musée de Tourcoing, le MuBA, ayant eu l’immense honneur de se voir “entrer au musée de son vivant prochainement“, annonce-t-il non sans fierté !

Guillaume Caron est représenté à présent par Vincent Bonduelle Art Contemporain. Le duo artiste-galeriste s’est illustré avec brio à Art Up Lille cette année et pour l’heure c’est Venise qui a inspiré titre et thématique de leur nouvelle exposition, “Altana“. Ce titre-hommage renvoie aux balcons-terrasses suspendus surplombant les canaux, où les belles d’antan offraient leur chevelure aux rayons ardents du soleil pour en voir les reflets cuivrés, mordorer leurs cheveux d’un blond roux incomparable. Notre artiste a peint les couleurs chaudes de l’Italie sur toile ou papier, selon le lieu de résidence d’été où il se trouvait, palais en campagne vénitienne ou appartement surplombant les canaux. Des œuvres où se mêlent le vert-profondeur de lagune des volets, le jaune pastellisé des façades, le rose tendre ou la feuille d’or, célébration de la cité des doges.

Hommage à Francis Bacon

Guillaume aime raconter des histoires que j’aime écouter, bercée par des anecdotes balayant le spectre d’insectes urticants, papillons-ambulances, rencontres fortuites avec Jane B. ou savoureuses évocations de cuisine italienne… Et Guillaume n’aime pas que les histoires se terminent… moi non plus ! Sans doute l’une des raisons pour laquelle j’ai eu l’immense plaisir de le retrouver cette fin d’été dans son fort et y retournerai bientôt pour l’un de ces rares évènements festifs où les portes s’ouvrent à des publics élargis ! Générosité et actualité nous permettent d’admirer ses dernières créations lors de cette magnifique exposition hébergée au rez-de-chaussée-galerie de l’Hôtel particulier de Vincent Bonduelle à Lille, autre lieu d’exception. On peut aussi les admirer lors de visites privées sur rendez-vous, in situ pour les inconditionnels de Vauban comme moi ! Et pour ceux qu’un agenda contraint priverait de cette rencontre, d’autres expositions vont venir ponctuer 2024, tout d’abord Art Up Lille suivie d’autres évènements hors des frontières de notre région. Rendez-vous pris ! 

Jusqu’au 7 octobre 2023
Vincent Bonduelle Art Contemporain – Lille (59)