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On en parle

Expressionnismes !

Christian Noorbergen, le 8 avril 2022

Comme une turbulence violente, en effraction vitale, l’expressionnisme est venu perturber l’histoire de l’art, laquelle ne se découvre que par ses secousses, et ses remous…

Cet art de sueur d’âme et de sang ajoute la fête, la transgression, et l’élan. Les créateurs du début du dernier siècle ont cherché dans l’ailleurs les sources d’une culture épuisée. Le paradis occidental, vidé de sa substance, a cherché aux confins du monde et dans les recoins ignorés du mental de quoi étancher sa soif. Si l’art brut est le premier volcan destructeur-créateur, l’art singulier est l’art primitif du 20ème siècle. 

Les marges de l’art bouillonnent d’étrangeté. Elles ne sont pas atteintes par le déjà des repères et des codes. Elles naviguent dans le salutaire no man’s land du hors-sens. Quand il y a trop de béton dans la culture, elles répondent par des charges préverbales où se bousculent les traces chaotiques de l’essentiel. Entre vie brève et folle santé, l’expressionnisme, refuge et remède d’une culture excédée d’images trop claires est creuset d’altérité. Art des rires et des sueurs, des grottes intérieures et des secrètes meurtrissures. L’inaccompli de l’art maintient intacte la charge hétérogène des puissances imaginantes. Le chaos veille, passeport de toujours, de partout et d’ailleurs.

Béa Vangertruyden – Sans titre

L’inaccompli de l’art maintient intacte la charge hétérogène des puissances imaginantes. Le chaos veille, passeport de toujours, de partout et d’ailleurs.

L’artiste singulier porte des coups au cloaque des cultures fatiguées. Fascinations spontanées de baves et de barbes, de bardes forains et de magiciens savants qui font irruption dans les blocs disloqués d’un décor qui ne les contient plus et qui s’éclate dans le grotesque et le sublime.

Nicolas Favre – L’édentée

Œuvres étranges et obsédées, d’incroyable densité. Dessiner, peindre, rassembler des objets, sont d’abord des activités physiques, et l’immédiateté gestuelle fait place heureuse au surgissement osé du fantasme, avant qu’il ne s’éteigne dans son illusoire installation…

La transgression installe les stigmates du manque à être. Elle pose des repères de fête sur les repoussoirs de l’interdit. La transgression comme fenêtre d’altérité se fait initiatrice, elle incise le réel, crée un seuil où l’humanité s’installe au vrai, fait de la place au non-être pour construire hors des bases fatiguées.

Christophe Faso – Re source

Dans l’art actuel, chez les expressionnistes surtout, ce qui entoure le corps devient charge corporelle illimitée, pure présence d’une chair chaotique. Et l’ordinaire aspect figuratif du tracé corporel se déforme et devient signe abstrait, comme s’il y avait inversion des données traditionnelles de l’abstraction et de la figuration, comme si le corps lui-même se séparait, traces corporelles dans un horizon corporel.

Elle dit les corps sacrifiés au rituel ordinaire de la normalité. L’en deçà du corps, et parfois l’au-delà, son gouffre inhabitable, est le territoire de vie de ces artistes liant humanité, beauté et cruauté.

Un sens larvaire, rampant et inassouvi, préservé de l’évidence, donne une apparence visible, tangible, efficiente, aux usages marqués de l’existence. Tous les possibles du corporel humain, reliant tous les états de l’univers, y sont présents, virtuels, poignants, décisifs, illimités et vitaux, et l’art apprivoise les forces lourdes de la vie.

Oeuvre de l'artiste peintre Sylvie Cairon
Sylvie Cairon – Extra Visibilia N°55

Artistes de nos profondeurs, à l’inexploré douloureux, vous aussi, à hauteur de regard et de corps, vous creusez à mains nues ces souterrains perdus. Les arts premiers agissent en vous comme une formidable chirurgie d’âme, et pour nous tous, vous sortez de l’antre.

Cet art qui respire l’inconscient sert de nourriture crue aux faims essentielles, qui donnent envie de mordre dans les chairs de l’univers, et donnent à chaque être la source de sa propre respiration. Embraser, embrasser nos vies.

En Une : Denis Vanthournout – Sans titre