« Matière-Lumière »
Sous le titre unique de « Matière-Lumière », la création de l’artiste allemande Evi Keller se déploie sous différents médiums, peintures, sculptures, photographies, vidéos, sons et performances. Une très belle exposition proposée dans l’Orangerie, au cœur du parc Caillebotte à Yerres, rassemble de grandes et somptueuses peintures déclinées en bleu profond en regard d’une série photographique en tirage argentique, matrice de l’ensemble du cheminement intime de l’artiste. Une vidéo issue du même cycle de création est également projetée. Ces œuvres intemporelles et vivantes ouvrent sur un monde mystérieux où se condense la relation entre matière et lumière. Thème par lequel l’artiste renoue avec la mémoire enfouie des matériaux originels qu’elle transfigure en éclatantes œuvres d’art.
Dans ses peintures, Evi Keller utilise des films plastiques transparents qu’elle recouvre de pigments, de végétaux, de cendre, d’encre…. Elle superpose les couches, dessine, grave et sculpte. Elle expose l’œuvre aux rayons du soleil, à la pluie, au vent, ou même la recouvre de terre ou d’eau. La gestation s’étale sur des mois, voire des années, « c’est l’œuvre qui, in fine, décide du temps de sa naissance ». Le plastique, cet ingrédient insolite, est l’élément de base à l’origine d’un lent processus de création. Pour Evi Keller, la substance de ce matériau synthétique issu du carbone organique enfoui au plus profond de la terre depuis des centaines de millions d’années, enferme la mémoire d’une lumière originelle fossilisée. Régénéré, réanimé, il devient vivant. Les lignes et les formes, grattées et griffées, émergent d’un magma bleu profond, cette couleur cosmique et lumineuse qui habite la plupart des toiles d’Evi Keller, incarnant le processus de transformation de la matière par la lumière. Le visiteur se trouve confronté aux résultats d’une transmutation quasi-alchimique, silencieuse et fascinante, et se laisse porter par l’énergie vitale qui en émane. Les œuvres invitent à s’extraire de la réalité, à se sentir projeté ailleurs dans un moment dont on ne peut situer ni le temps, ni l’espace. « Mes œuvres que je découvre tout en les créant dans le temps présent, n’ont ni appartenance, ni filiation, ni même une inscription dans la flèche du temps ».
Quand elle puise dans sa mémoire pour trouver quelques mots qui ont façonné sa vie d’artiste, Evi Keller se remémore la lumière de la nature, les reflets changeants des forêts alentour, les lacs gelés, la glace fondante se diluant dans l’eau. Dans ses rencontres avec la nature, elle emportait un appareil-photo qui servait de carnet de notes, tout en répondant au besoin premier de capter l’instant miraculeux où la lumière apparaît sur des surfaces liquides réfléchissantes, ou lorsqu’elle traverse des matériaux translucides. Les œuvres photographiques réunies sous le titre Towards the light-Silent Transformations portent l’empreinte de ces expériences.
Aujourd’hui, la création d’Evi Keller ne nécessite plus l’approche technique de la photographie pour rendre la lumière palpable. Cette lumière, sans laquelle l’œuvre n’existerait pas, s’intègre dans la matière même des œuvres, elle se manifeste dans une présence quasi spirituelle, et devient le principe de l’art d’Evi Keller. Ses œuvres, à la fois intimes et immenses, n’ont pas de signification a priori. Elles sont une invitation à prendre conscience du mystère de tous les spectacles de la nature, à voyager, selon l’approche sensorielle de chacun, dans un univers autre hors des sentiers balisés. En créant des espaces où rien n’est figé, où tout semble en mouvement perpétuel, Evi Keller nous relie à un « cosmos vivant », pour reprendre l’expression d’Edgar Morin.
En 2023, Evi Keller remporte le premier Prix Carta Bianca : Par son œuvre Matière-Lumière, elle s’engage dans un voyage au-delà du monde de l’Art et accompagne des femmes éprouvées par le cancer dans leur processus de guérison. Elle est également lauréate du prix 100 Femmes de Culture, et travaille avec la chorégraphe Blanca Li. L’une de ses œuvres vidéo majeures est exposée au Domaine de Chaumont-sur-Loire. Elle est représentée par la Galerie Jeanne Bucher Jaeger.
L’ancienne propriété du peintre Caillebotte et son grand parc arboré sont ouverts à la visite. Des expositions prestigieuses sont régulièrement organisées dans les dépendances transformées en lieux d’art.
Jusqu’au 31 août 2025
Orangerie de la Maison Caillebotte – Yerres (91)
En Une : Evi Keller – « Matière-Lumière » – Carrés bleus