« Peintures & Dessins »
Le Musée des Beaux-Arts de Tourcoing, devenu MUba Eugène Leroy après la donation par les enfants de cette immense personnalité du XXème siècle, est riche de plus de 400 œuvres ! Il s’affirme comme le lieu de conservation et de (re)connaissance de l’œuvre d’Eugène Leroy. En marge des modes et des styles, cette œuvre inclassable, est largement représentée dans de nombreuses collections publiques et privées. Il aura cependant fallu du temps pour qu’elle soit pleinement reconnue. Appréciée par un cercle d’amateurs et de galeristes, de Jacques Bornibus, premier conservateur du musée dans les années 1950, à l’emblématique Claude Bernard, elle attirera l’attention de Michael Werner. La collaboration avec l’influent galeriste allemand qui défend la création contemporaine de l’Europe du Nord, de Markus Lüpertz à Anselm Kiefer, va accélérer la reconnaissance d’Eugène Leroy comme artiste international, sans pour autant l’associer à un mouvement pictural précis.
« Peintures & Dessins », l’actuelle exposition du MUba, sous le commissariat de Mélanie Lerat et Bénédicte Duvernay, s’intéresse aux vingt dernières années de la vie d’Eugène Leroy (1910-2000) à travers plus de 80 peintures et dessins. Le parcours se divise en deux sections. Une première partie chronologique et thématique est réservée à la peinture à partir de la fin des années 1970, tandis que la seconde est consacrée aux œuvres sur papier, autre champ d’exploration à part entière. Deux pratiques inhérentes à la vie de l’artiste. L’exposition apporte un éclairage sur la continuité d’une œuvre originale, dénuée de toute séduction facile, déroutante et exigeante, avec son évolution vers de plus en plus d’abstraction.
Trois gravures, en introduction, révèlent trois motifs récurrents : femme debout, femme couchée et autoportrait. Suit une belle et grande huile « La Famille » (1977) pour laquelle ses enfants et sa femme ont servi de modèles. Une tentative de reproduction du réel, sorte de déclinaison de l’image photographique où les visages, devenus peu reconnaissables, sans être abolis, surgissent lentement d’un magma grumeleux de teintes sombres émaillées de taches de couleur vert d’eau.
Quels que soient les thèmes, déclinés en séries, portrait et autoportrait, nu féminin, paysages ou représentation des quatre saisons, la superposition de multiples touches de couleur allant jusqu’à l’empâtement et l’enfouissement du sujet, est constante. Le motif, d’apparence peu lisible au premier abord, ne se révèle pas sans effort de la part du spectateur. D’autant plus que, soustrait à une perception naturelle par le biais de la notion « Lumière devant, Lumière derrière », le regard se laisse guider par le surgissement de l’objet plutôt que par l’objet lui-même. Celui-ci, placé à contre- jour entre fenêtre et miroir, est éclairé par derrière par la lumière naturelle, et en même temps par devant par le reflet de la lumière dans le miroir. Eugène Leroy parle de « réalité intérieure », il restitue ce qu’il ressent, ce qu’il appelle « la trace du vécu », à la recherche de l’émotion pure. « Tout ce que j’ai essayé en peinture, c’est d’arriver à cela, à une espèce d’absence pour que la peinture soit totalement elle- même ». Dans les années 1990, la simplification, s’accentue parfois jusqu’à l’épure, et des touches de couleur vive apparaissent çà et là.
Dans l’œuvre de Leroy, le dessin, non préparatoire à la peinture, est cependant un élément important. Dans son œuvre graphique, d’une grande variété de techniques (fusain, encre, sanguine, aquarelle ou gouache), le nu et l’autoportrait prévalent et témoignent d’une même liberté par rapport au sujet. Du corps réduit à quelques lignes fugaces aux visages surgis d’un fond noir composé de traits au fusain et d’un lavis à l’encre, et jusqu’aux aux aquarelles noyées de couleurs, tout reste de l’ordre de l’expérimentation d’une inlassable recherche sur l’apparition des corps et leur mouvement.
Jusqu’au 5 avril 2026
MUba Eugène Leroy – Tourcoing (59)
En Une : Eugène Leroy – Paysage – 1982 – Huile sur toile – Collection privée © Florian Kleinefenn