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On en parle

Dunkerque a le vent en poupe !

Gersende Petoux, le 6 septembre 2022

La cité du célèbre corsaire Jean Bart offre d’innombrables surprises et merveilles. Cette ville au passé tourmenté traversa non sans remous moultes péripéties mais le courage et l’énergie de ses habitants fut sans égal, la fierté des Dunkerquois et leur amour infaillible pour leur belle ville est à ce propos remarquable. Le parcours de la ville et de son port est semé d’embûches, de 1662, date à laquelle Louis XIV racheta Dunkerque aux anglais, la ville devenant définitivement française après s’être connue espagnole et anglaise, au statut de 3ème port de France. Si la seconde guerre mondiale en causa la destruction à plus de 90%, laissant la ville exsangue et ruinée, le renouveau de Dunkerque et son dynamisme la font vibrer, sans omettre la joie festive des habitants lors du célèbre carnaval en février.

Musée portuaire

A l’abordage ! Commençons le périple par le Musée Portuaire, installé dans d’anciens entrepôts de tabac, qui nous conte l’histoire du port sur trois niveaux avec passion et force de maquettes, tableaux, gravures, reconstitutions et mises en scène, films d’animations, documents d’archives, sonores ou visuels, affiches et ravissants et désuets dioramas. Cet enchanteur Musée Portuaire tient ses promesses en nous faisant plonger dans l’aventure mais aussi poursuivre l’expérience en mer dans les bateaux amarrés face au musée sur le bassin du commerce. Ainsi le bateau-feu Sandettié, dernier à avoir été mis en service et unique en France à pouvoir être visité, nous plonge-t-il dans la vie sacerdotale des marins de ces bateaux-phares qui permirent pendant de longues années aux bateaux d’échapper aux cruels bancs de sable. Immersion dans la salle des machines, la cuisine, en passant par les quartiers du capitaine ou les salles d’eau. Le superbe trois-mâts Duchesse Anne, ancien voilier école offert en 1946 par les allemands au titre de dommages de guerre, fourmille quant à lui d’anecdotes et donne aux marins d’eau douce que nous sommes l’illusion de partager le quotidien de ces 200 élèves matelots du début du XXème siècle, en itinérant entre cabines, pont, soute, proue…

La nouvelle exposition temporaire du musée quant à elle, intitulée “A la Table des Géants” célèbre le 30ème anniversaire du musée et excite nos papilles. Véritable voyage dans le temps, de la fin du XIXème siècle et ses tous premiers palaces flottants jusqu’au célèbre “France” de 1962, nous embarquons à bord de ces paquebots de légende, véritables ambassadeurs des mers, témoins du luxe et de l’art de vivre “à la française” avec un savoir-faire et une renommée dont la France peut s’enorgueillir. Mobilier, arts décoratifs, films d’époque, photos, affiches, uniformes, menus décorés, une immersion au travers de 400 prêts exceptionnels !

Sans tourner le dos au passé mais en le valorisant avec fierté et passion, Dunkerque vibre aujourd’hui au gré des concerts, festivals et manifestations culturelles, notamment au Kursaal, palais des congrès dont la façade est ornementée d’une fresque monumentale de street art réalisée par l’américaine Maya Hayuk. L’art contemporain est très présent, particulièrement au FRAC et au LAAC, emblèmes de la ville depuis 40 ans déjà. Le Fonds Régional d’Art Contemporain Grand Large est hébergé sur le site des anciens Ateliers et Chantiers de France, face au phare du Risban, aux confins du chenal emprunté par les bateaux pour rejoindre le large et à l’orée de la superbe plage de Malo-les-Bains.

Kursaal – Palais des congrès – Fresque de Street Art de Maya Hayuk

Utopia et sa saison lilloise y avait pris ses quartiers avec Nicolas Floc’h jusqu’au 4 septembre 2022, et son exposition “La couleur de l’eau”, tout aussi poétique que scientifique pour ce photographe également chercheur et enseignant qui tente de “rendre visible l’invisible”. Tel le héros de Süskind dans son roman “Le parfum”, Nicolas Floc’h donne matière à l’immatériel, en capturant les couleurs de l’eau en Baie de Somme mais aussi le long des fleuves et océans. 

Avec “Vrac Multivrac”, Delphine Reist hisse les couleurs des thèmes qui lui sont chers, politique, économique et sociologique, déployés en différents espaces du FRAC. Dans son univers à la Fantasia, les objets qu’elle choisit semblent prendre vie et exister en dehors de toute intervention humaine. Des bottes de sept lieues et autres seaux de béton renversés, figeant le temps et le travail en un incident impromptu, nous accueillent dans l’entrée de la halle industrielle des anciens chantiers navals, surnommée la “cathédrale”, AP2 (Atelier de Préfabrication N°2) dont le FRAC est le dernier vestige, rappelant le prestige et l’importance de la construction navale et le transport des grands vracs.

La Nef des Fous – Vue d’ensemble de quelques oeuvres

Autre exposition temporaire, “La nef des Fous, objets compagnons des transports”, ainsi nommée en hommage au tableau de Jérôme Bosh de la fin du Moyen-Age, rassemble des objets de la collection du Design Museum Gent de Gand (Belgique), ainsi qu’une sélection de films et pièces musicales d’artistes. Est-ce la fin d’une ère qui nous mène à la perdition voire à la folie ou l’avènement d’un monde nouveau, un monde qui redonnerait du sens à nos quêtes et à nos existences, arche de Noé vers notre futur ? Folie des transports, orchestrée telle une zone de fret, utilisant des dispositifs ready-made, disponibles dans les réserves du FRAC, la scénographie de l’exposition rappelle l’univers marin, celui des docks et du voyage, faisant côtoyer des objets les plus usuels et accessibles à de rares pièces du design. Comment nous déplaçons nous ? Quels sont ces objets qui nous accompagnent, des années 50 à nos jours ? Fiction de pêche miraculeuse, l’exposition interroge et célèbre, comme celle de Delphine Reist, l’empreinte culturelle et maritime de Dunkerque.

Traversons la futuriste passerelle du Grand Large, conçue en 2016, porte d’entrée d’un territoire en pleine mutation et restructuration avec une nouvelle stratégie plaisance et le projet urbain La Marina, redessinant le paysage de cette cité chère à Vauban. Et voici celle qui fut élue la plus belle plage du Nord ! Le sable semble parfois ne jamais rejoindre la mer tant les proportions flirtent avec l’infini et les grands espaces. Malo-les-Bains n’est pas seulement une plage de rêve, elle est aussi dotée d’un patrimoine architectural des plus riches avec ses villas de la fin du XIXème siècle, quartier chéri des hommes de lettres et des poètes qui inspira Hugo, Aragon, Van Der Meersch et tant d’autres. Une promenade malouine au gré de l’éclectisme des villas, construites selon les envies et le grain de folie des propriétaires, des bâtisseurs et des architectes, Art Nouveau, Art Déco, néo-flamand, anglo-normand…

Tapta – Sans titre – Coton et Laine – 1973

Cousin du FRAC, célébrant aussi son 40ème anniversaire, le LAAC, Lieu d’Art et Action Contemporaine, jouxte la mer avec ses bâtiments coniques implantés sur quatre hectares de jardin et plans d’eau. “Belgitudes, 50 ans de passion” y est présentée, recensant une centaine d’œuvres belges du collectionneur anversois Maurice Verbaet, de 1945 à 1980. Peintures, sculptures, installations, de l’abstraction géométrique au Pop Art en passant par le figuratif, quatre salles thématiques visent à faire connaître la production artistique belge, des artistes plus ou moins (re)connus, mais dont l’influence et le rayonnement dépassent de loin les frontières de notre voisin belge. En voici quelques noms, quelques œuvres, destinés à ouvrir notre appétit et notre curiosité artistiques : Walter Leblanc et son exploitation de l’idée de torsion, “Twisted strings” (1962), fils de coton aux effets visuels et vibratoires qui supplantent la peinture ; les logogrammes de Christian Dotremont ou “Le monde flottant” (1957) d’Alechinsky, emblématiques du groupe CoBrA, écriture pictogramme et calligraphies à l’honneur ; travaux de Tapta, pionnière de la nouvelle tapisserie, qui ont contribué au renouvellement du textile en Belgique dans les années 70, tissage manuel d’un stupéfiant mur de cordes de laine ponctuées de noeuds ; Pop Art humoristique de Pol Mara avec “Dent’elles” (1963) parodie érotico-comique d’une réclame de dentifrice et enfin, un étonnant ensemble coloré de boîtes Tupperware venu compléter le paysage des sixties avec humour, clin d’œil à l’utilisation du matériau plastique dans les œuvres, telle Evelyne Axell qui adopte à la fin des années 1960 le plexiglas en lieu et place d’une toile et troque la peinture à l’huile contre celle émaillée pour voiture !

Eve Gramatzki – Männerschuh – Crayon de couleur sur carton découpé – 1972

Autre exposition, au cabinet d’art graphique, “destruction=construction” présente une cinquantaine d’œuvres d’Eve Gramatzki. Cette artiste a toujours privilégié le dessin durant ses 30 ans de carrière et l’étude de la ligne et de la trame dans une expression et un vocabulaire qui lui sont propres. Le “Grand coussin à carreaux”, crayon à papier de 1974, ou le “Gant”, technique mixte sur toile de 1971, sont de véritables chefs d’œuvre hyperréalistes, dessinés avec une précision photographique, d’une douceur et d’une beauté envoutantes qui suscitent l’émotion et invitent à la mélancolie. Enfant durant la seconde guerre mondiale, la petite Eve connut l’exil lors de l’invasion de l’Allemagne par les troupes soviétiques. Ce gant qu’elle tendit à un officier l’aurait, semble-t-il épargnée, ainsi que sa famille… Des années 1970 à 2000, c’est un travail plus abstrait qui monopolisa Eve Gramatzki, réflexion sur la ligne, le trait, tout ce qui compose l’image. “Dès que je vois une ligne, j’ai besoin de la détruire. Je suis dans la démolition de toutes mes lignes, de toutes mes tâches… Peut-être quelque chose se construit-il ainsi”.

D’expositions en itinérance, Dunkerque offre un visage neuf, conquérant, dynamique et résolument tourné vers l’avenir. “Dunkerque, ma belle…”, aurait pu chanter Dick Annegarn s’il n’avait célébré Bruxelles. Dunkerque, attends-moi, j’arrive. Bientôt je prends la dérive…

Au LAAC
Jusqu’au 18 septembre 2022 – Eve Gramatzki – Destruction = construction.
Jusqu’au 9 octobre 2022 – Belgitudes, 50 ans de Passion du collectionneur Maurice Verbaet  
Au FRAC  
Jusqu’au 4 septembre 2022 – La couleur de l’eau – Nicolas Floc’h,
Jusqu’au 31 décembre 2022 – La nef des fous, objets compagnons des transports et Vrac Multivrac – Delphine Reist
Au Musée Portuaire de Dunkerque 
Jusqu’au 5 mars 2023 – “A table les géants !”
A venir pour célébrer les 40 ans du LAAC, du FRAC, du Musée du Dessin et de l’Estampe Originale à Gravelines, et les 30 ans du Musée Portuaire de Dunkerque : Exposition anniversaire Horizon(s), du 17 septembre 2022 au 23 avril 2023

En Une : Kusaal – Palais des congrès – Fresque de Street Art de Maya Hayuk