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On en parle

Balade en Utopie – Opus 2 Invitez les forces de l’au-delà

Gersende Petoux, le 3 août 2022

Lille “capitale des Flandres”, indubitablement. Tournant le dos au quartier des gares et aux lutins joyeux de l’artiste Kimonsson, le flâneur plonge peu à peu dans l’histoire riche et mouvementée de cette ville aux multiples facettes qui fut, en 2004, capitale européenne de la culture.

En route pour le Vieux Lille et ses façades richement décorées qui invitent le curieux à lever des yeux extasiés en se tordant les chevilles sur les pavés de guingois ! Place du théâtre, la majesté des édifices monopolise le regard. Œuvres de l’architecte Louis Marie Cordonnier, l’Opéra, fortement inspiré de son homologue parisien, l’Opéra Garnier, snobe le Beffroi de la Chambre de Commerce, de style néo-flamand, qui abrite en son sein un carillon joyeux égrenant un p’tit quinquin bien du cru ! Face à eux, la monumentale Vieille Bourse, construite au XVIIème siècle, joyau de la Renaissance flamande, héberge les bouquinistes et leurs étals autour, le temps d’une saison, d’une œuvre de Ghyslain Bertholon, “Rezilientia”. Dans sa réflexion sur la relation de l’Homme à la nature et son éventuel pouvoir destructeur, l’artiste nous laisse un espoir avec sa souche calcinée où une hache plantée reprend vie en se couvrant de feuillages naissants.

Quelques pavés plus loin, voici l’îlot Comtesse. Ce jardin encerclé de façades de couleur rouge brique et ocre fut autrefois bordé de canaux, à l’heure où Lille prenait de faux airs vénitiens. Le temps d’une saison utopique, ce sont d’étranges petits personnages dignes d’un voyage de Gulliver au pays du potager qui peuplent les lieux ! Bienvenue au Maxitos et sa maison géante, ainsi qu’aux Nanitos de Jean-François Fourtou, un univers poétique et merveilleux de ces petits bonshommes à tête de tomate, potiron, courgette ou autres artichauts ! Ils ne se contentent pas de squatter la pelouse verdoyante de cet îlot de verdure, les voilà travaillant d’arrache-botte dans le jardin médicinal du superbe musée de l’Hospice Comtesse, tout voisin, ou orchestrant un banquet farfelu dans la salle à manger.

Maxitos de JF. Fourtou au jardin médicinal de l’Hospice Comtesse

Jeanne de Constantinople, qui en fut la généreuse bienfaitrice et fondatrice en 1237, en serait ravie ! Car c’est ici que l’on soignait les malades au Moyen-âge dans ce superbe édifice du temps des Comtes de Flandres. Ce fut aussi, après la Révolution, un hospice pour personnes âgées et aujourd’hui, un musée-vitrine du passé lillois, nous plongeant dans l’atmosphère d’une demeure flamande du XVIème siècle, tout en tapisseries, peintures flamandes, orfèvrerie, où cuisine et escalier sont parés de splendides carreaux d’un bleu de Delft inimitable. 

Serpent de Joanna Rajkowska dans la cour de l’Hospice Comtesse

Pouvait-on trouver lieu plus approprié pour l’exposition du “Serpent cosmique”, interrogeant sur l’art, l’homme, la science, que dis-je la pré-science ? Théorie inspirante, l’anthropologue Jeremy Narby avait émis l’hypothèse que les chamans représentaient intuitivement depuis des millénaires cette chaîne tournoyante et torsadée de l’ADN, dont les nucléotides s’orchestrent en un serpent à rotation infinie. Cet ADN ne fut pourtant découvert qu’en 1953 ! Corroborant cette théorie, le philosophe français Edgar Morin suggère que les artistes du monde entier créent inconsciemment depuis la nuit des temps des serpents cosmiques enlacés. Dans la salle des malades, lieu dédié aux expositions temporaires, pas moins de 40 œuvres sont d’ailleurs placées dans une scénographie qui, vue d’en haut, reprend exactement cette double hélice de la chaîne ADN, sur un sol en miroir qui accentue la mise en abîme.

L’exposition est régie par 3 mots clés : métamorphose, anthropomorphisme et hybridation, interrogation sur le dialogue de l’Homme avec la nature, au cœur de ses interactions avec le végétal et l’animal. Les œuvres dont les origines et l’époque balaient le spectre des extrêmes sont extrêmement hétéroclites : têtes de méduses sculptées (XVIIème siècle, fond permanent du musée) ou fétiche ancestral des Sénoufos (Afrique de l’Ouest), étranges casques vidéo béninois de Emo De Medeiros projetant des rêves prémonitoires, drôles d’animaux hybrides, tels le mouton-autruche ou les truismes de Jackie Kayser, revisitant par la taxidermie appliquée à des truies les 3 Grâces de la mythologie,  aux formes féminines des plus suggestives, sans omettre le passeur d’âmes, enfourchant à bout de pinces un indien momifié de Benoît Huot, réflexion sur la religion, le colonialisme, l’esprit des morts.

Flower Fragrum Cardamoni – Installation de Peter de Cupere – Eglise Sainte Marie Madeleine

Une incursion un pont plus loin nous mène sous la voûte de l’Eglise Sainte-Marie-Madeleine, où l’artiste flamand Peter de Cupere nous invite à regarder bien plus loin que le bout de notre nez par le biais de ses œuvres olfactives, empreintes de poésie et d’esthétisme. Un bulbe en fleurs se laisse frotter pour exhaler des senteurs fruitées de fraise tagada ou de cardamone (Flower fragrum Cardamomi). Un tapis de curry embaume et ensoleille l’une des chapelles, tandis que, dans une autre, un escabeau nous met la tête dans les nuages pour, hélas, respirer des vapeurs toxiques et polluées, quand le réchauffement climatique reflète nos excès… 

C’est avec ces installations aussi poétiques qu’esthétiques, que nous terminons cette musarde en réfléchissant à notre place dans la nature et aux traces de nos interactions, quelles qu’elles puissent être.

En Une : Maxitos de JF Fourtou à l’îlot Comtesse

Jusqu’au 2 octobre 2022 – Lille (59)
www.utopia.lille3000.com