Christophe LOYER
Bio
Le fil rouge de Christophe Loyer…
Mon travail se compose de trois cycles, qui sont apparus simultanément il y a quelques décennies et se sont développés comme les trois branches d’un même arbre. Bien que distants en apparence ils ont en commun de poser, d’une façon à chaque fois différente, la question de l’origine. Ainsi chacun d’eux obéit à un principe fondateur, un postulat qui s’est imposé naturellement, et tous se déploient selon les logiques qui découlent de ces postulats. Face à cette autonomie des cycles et des oeuvres je me suis trouvé dans la position de l’archéologue mettant à jour les traces d’un monde à lui inconnu, à la fois nécessaire et imprévisible. Ces trois cycles sont Le Cirque Philosophique, La Main Rêveuse et la Main laborieuse, et Sombre Propos.
1- LE CIRQUE PHILOSOPHIQUE a consisté, au départ, en un travail de sculptures légères et suspendues dans lesquelles des acrobates, humains et non humains, tracent des figures dans l’espace avec le fil continu qui les relie. Ces manipulations sont soumises à une règle dont la raison d’être reste énigmatique. Il pourrait s’agir d’un impératif éthique, voire grammatical : ce fil en effet doit être continu, et chaque acrobate doit en modifier la trajectoire, de la même façon que les mots d’une phrase sont reliés par un sens dont chacun détermine le devenir. L’exploration des formes que peut prendre cette boucle, et des figures qu’elle suscite ou autorise passe ainsi, entre autres, par celle des sens que peuvent prendre les mots « continu » et « modifier ». Les acteurs de ces tableaux aériens, quant à eux, sont apparus par séries successives dans des circonstances à chaque fois similaires : sur une île Méditerranéenne, et dans le laps de temps d’un mois. Leur fabrication a obéit, elle aussi, à des protocoles qui se sont imposés d’eux-mêmes, et cette communauté d’origine a fait de chacune de ces séries une sorte de tribu, dont les mythes et légendes pourraient être illustrés par les sculptures suspendues du CIRQUE PHILOSOPHIQUE.
2- LA MAIN RÊVEUSE ET LA MAIN LABORIEUSE s’interroge sur ce mystère de l’apparition, entre mes doigts, de personnages dont je ne sais ni d’où ils viennent, ni pourquoi. Là aussi, un événement bref et fabuleux en constitue à chaque fois le point d’origine : l’action, ou plutôt le non-agir de ma MAIN RÊVEUSE pétrissant distraitement une poignée d’argile. À l’improviste, des replis de cette matière en mouvement surgit un être dont je ne sais rien, et dont la volonté obstinée d’être là l’emporte sur tout ce que j’aurais pu imaginer. Esquisses – de l’italien schizzare, jaillir – est le nom que j’ai donné à ces présences campées à la frontière entre humain et non humain. Pendant longtemps je me suis refusé à les exposer, considérant que c’eut été mettre en danger le secret de cette obscurité mystérieuse d’où elles avaient surgis. Ce que j’ai montré en revanche a été le travail patient de mon autre MAIN, LABORIEUSE cette fois, explorant méthodiquement les traces de cet événement fulgurant. Il en a résulté plusieurs séries de statues en pierre, en céramique et en bronze, ainsi que plusieurs installations à l’intérieur desquelles le spectateur était invité à entrer, voire à se perdre.
3- SOMBRE PROPOS : Ces Esquisses, que je ne voulais pas montrer, j’ai tenté pourtant dans un premier temps de les exposer tout en les soustrayant aux regards : de les montrer en les cachant. Je les mettais ainsi au centre d’une construction en forme de cube, percée de fines fenêtres qui permettaient d’en voir tout l’intérieur, à l’exception, précisément, du centre. Ce point focal, qui attire à lui les regards en leur échappant, je l’ai nommé SOMBRE PROPOS, traduction de l’anglais DARK MATTER qui désigne la matière noire attirant à elle, au sein des galaxies, tous les corps, y compris la lumière elle-même. C’est ainsi que la métaphore entre regard et lumière s’est imposée, et ce parti pris est devenu le fil conducteur d’une exploration dans laquelle l’énergie de la lumière est devenu métaphore de celle des regards et des pensées lorsqu’ils explorent le visible et le concevable. Après s’être transformés en faisceaux lumineux, et à la faveur d’une mystérieuse correspondance avec le second mode à transpositions limitées d’Olivier Messiaen, ces regards se sont matérialisés en sons, et SOMBRE PROPOS a donné lieu à plusieurs collaborations dans les domaines de la musique et de la danse.
En quelques mots, son premier choc artistique…
J’ai douze ans. Je vais à la pêche avec mes cousins dans la forêt familiale où coule une petite rivière chantante et poissonneuse. Ce soir nous allons poser des lignes de fond, au cœur de la nuit. C’est interdit, le garde-chasse pourrait nous surprendre. Nous sommes trois, je suis chargé de faire le gué pendant que mes cousins disparaissent vers la rivière. J’ai une petite lampe de poche qui ne fait que rendre plus épaisse l’obscurité qui m’entoure. Je suis pétrifié de peur… Je prends alors une décision qui me semble vertigineuse. Je vais éteindre la lampe, me rendre à l’obscurité… L’obscurité est maintenant totale, elle m’entoure et m’enveloppe comme un vêtement. Je ne vois plus mes mains même si je les approche de mon visage, je fais corps avec l’obscurité, je suis devenu invisible. Alors peu à peu je vois enfin. Je vois de tous les pores de ma peau… Je suis le silence invisible et mes lèvres sont entrouvertes pourtant, et mes yeux grands ouverts devant l’obscurité qui pénètre en moi, qui se diffuse en moi comme une odeur, comme une saveur. Ma peau est la frontière poreuse et palpitante d’un espace immense animé du ressac presque imperceptible de ma respiration.
Il m’a semblé ce jour là que l’obscurité était devenue mon amie, et que j’avais conclu avec elle une sorte de pacte dans lequel la lumière avait son rôle à jouer.
Le portrait chinois de Christophe Loyer
Si vous étiez une couleur, vous seriez : Celle de l’eau lorsqu’elle reflète le ciel.
Si vous étiez un pays, vous seriez : Un chemin dans l’inconnu.
Si vous étiez un livre, vous seriez : Le livre des mutations.
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En permanence
- Galerie Bénédicte Giniaux – Bergerac
- HS gallery – Heidelberg, Allemagne
- Museo dei bozzetti – Pietrasanta, Italie
« Ce que j’appelle « tes figurations » sont le résultat de distillations et de purifications. Elles réussissent à nous restituer – avec un bonheur tout particulier pour certaines d’entre elles où se trouve exprimé de façon concrète et dans un éternel présent ce qui, en chacun de nous, est perçu à peine par petits fragments – une étrange radiographie : un œil plus aigu qui révèle une ligne et un profil essentiel et qui, peut-être, indique un remède ou une cure. »
Fabio Palchetti, philosophe et écrivain, Florence, Italie