Sommes-nous maître ou victime du seul partenaire de nos profondeurs singulières ? D’où viennent ces brûlures vitales, ces élans secrets, et ces failles énergiques, sinon des sources obscures de nos souterrains sacrifiés ? De l’altérité sexuelle aux affres de nos finitudes, infinies sont les passerelles dans l’impossible pays d’âme.
Les dévots du Vaudou, là-bas, vers la Côte des Esclaves, et ici, en occident, de Sagazan à Vladimir, des êtres d’art, peu nombreux, arrachent à la mort-vie des lambeaux d’être. Incertains, démunis et précaires, ils traquent et sont traqués. N’ont pas le choix. Ils font avec. Ils sont travaillés du dedans. Ils sont traversés. Ne sont pas dans les structures commodes de la réalité commune, toujours déjà dépassées, mais ils se coltinent le réel et sa monstrueuse toute puissance. Ils sont en dé-monstration. Ils accidentent la réalité.
Qui joue avec l’inconscient bricole le cercueil de la création. La représentation de l’abîme est une imposture, la possession une mascarade, et la fabrication des images ne cesse de s’étendre. Le règne des surfaces n’a pas fini de rigoler. Mais le deuil s’étend… Et l’identité d’apparence fait mal au peuple des regardants…
Eux ne tentent pas de saisir, ils sont saisis. Ce sont des passeurs de ténèbres. Sauvés du désastre de la passivité, bousculés d’altérité, ils captent les énergies qui désossent les attendus de l’art. Ce sont de grands “ouverts“. Et par les trous d’art, écartés comme des blessures, surgissent parfois des créatures impensables et sidérantes, nos doubles inouïs, nos frères lointains. L’acte de dépossession de la vraie création est un acte de résistance aux fragiles miroirs de la modernité, qui pratique à tout va la haine des profondeurs.
L’art fouille l’abîme de nos affects
L’inconscient échappe aux investigations mentales et esthétiques. Ne se contrôle pas, ne se maîtrise pas. Le magicien d’art, de Sandra Martagex à Beate Bauer, d’Anne Treal-Bresson à Arnaud Franc, laisse surgir. L’œuvre sécrète des secrets qui s’échappent. “ Volonté, mort de l’art “ écrivait l’exorciste Michaux, poète du dedans, aux encres hallucinées. L’art qui respire l’inconscient sert de nourriture crue aux faims essentielles, qui donnent envie de mordre dans les chairs de l’univers, et donnent à chaque être la source de sa propre respiration. Il met en scène ce qui couve sous la scène immense des apparences. Et qui seul importe, et fait la vie à l’insu du pensé, quand la pauvre compréhension réduit le champ du compréhensible. L’œuvre aérée d’inconscient incarne le fantasme aigu de l’existence saisie à la gorge, et mise à nu. Elle maintient intactes la puissance et les charges du pré-verbal, quand les mots trop pensés donnent l’illusion du tout dire. Ce que le verbal ne peut saisir est sauvé. Art sans menottes mentales, sans béquille idéologique, et sans carcan religieux. Comme si l’élément organisant était un courant mental de haut voltage qui, enregistré par l’artiste, était déposé sur la toile, ou le papier, ou le cœur serré d’une matière enfiévrée. Exhibant les dessous des cultures, ces artistes étreignent l’étendue. Ainsi l’homme peut créer l’homme en assumant l’intime opacité des êtres, et l’être humain, en lui, ose vivre plus loin.
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