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On en parle

Art élitaire et diseuse d’histoires

Georges Dumas, le 23 mai 2025

« […] Incompris nous le sommes devenus, malgré notre indéniable utilité, tant vis-à-vis des créateurs que des nombreux visiteurs à qui nous faisons découvrir des aspects peu connus, mais importants, de la création plastique contemporaine. En effet, dans un contexte où des tendances populistes de fond jettent l’anathème sur les activités artistiques originales, discréditées en étant taxées d’élitisme, les subventions qui nous permettaient de vivre, puis de survivre, se sont taries. […] Nous avons, paraphrasant Antoine Vitez, tenté – et réussi, nous semble-t-il – à proposer à nos visiteurs un art élitaire pour tous.« 

C’est par ces mots que s’achève l’édito de l’avant-dernière édition du salon macparis, véritable institution de la scène artistique nationale depuis quarante ans sur le point de tirer sa révérence. Une pointe d’amertume, compréhensible, le dispute à une touche de fierté, justifiée. Amertume face à un monde de la culture qui s’appauvrit dans tous les sens du terme, avec une chute concomitante des subventions pour soutenir la création et la diffusion des arts plastiques et du niveau de l’éducation à tous les étages de la société, à commencer par celui de l’école. Fierté d’avoir porté pendant de si nombreuses années les couleurs du foisonnement créatif en France, avec des propositions parfois difficiles d’accès mais reflétant une démarche aboutie et cohérente. Fierté d’avoir défendu l’exigence, qui n’est ni un gros mot ni l’apanage de l’élite économique et sociale.

Lydie Regnier – Détail de la table des chimères – ©Photo Georges Dumas

Pour cette pénultième édition, on retrouve les marqueurs habituels de cette manifestation d’art contemporain essentielle, c’est-à-dire une large place accordée aux installations, aux mises en scène de sculptures non conventionnelles, à la multidisciplinarité, l’art informel ou l’abstraction géométrique. Dit autrement, le figuratif, qu’il s’exprime à travers le dessin, la peinture ou la photographie, se voit réduit à la portion congrue, phénomène qui semble accentué par le fait que la sélection se limite à une vingtaine d’artistes : lorsque le visiteur pénètre dans ce magnifique écrin qu’est le Bastille Design Center au centre de Paris, il peut avoir l’impression de mettre les pieds dans une exposition de centre d’art contemporain et non dans un salon où les œuvres sont à vendre ; seul son regard s’élevant vers le premier étage en haut de l’escalier lui permet de découvrir de vastes paysages verticaux en noir et blanc (Frédéric Fau), avec l’espoir de trouver d’autres œuvres figuratives au cours de son parcours.

Marine Class – Encres et Sculptures – ©Photo Georges Dumas

Parmi les vingt propositions plasticiennes exposées, on retiendra les étonnantes sculptures en sucre d’Hugo Bel, la belle et faussement classique photographie argentique de Frédérique Callu, le dialogue entre les encres et les sculptures de Marine Class, ou encore celui entre les peintures et les céramiques de Julia Scalbert qui tiennent en équilibre entre l’organique et l’inanimé. Et quand on prend le temps de se plonger dans les petites sculptures de Lydie Regnier, qui elles aussi sont mises en relation avec des œuvres sur papier accrochées sur les murs environnants, on se laisse petit à petit happer par l’étrangeté de ce qu’on peut qualifier de chimères, c’est-à-dire de cadavres exquis en volume, d’objets hybrides mêlant des éléments disparates et formant pourtant un tout d’une remarquable cohérence poétique.

Françoise Peslherbe – Devant ses oeuvres – ©Photo Georges Dumas

C’est au sous-sol de l’ancienne quincaillerie industrielle reconvertie en lieu d’exposition qu’on retrouve le travail de Françoise Peslherbe, qui se présente volontiers comme une diseuse d’histoires lorsqu’on lui demande de qualifier sa démarche. Si, d’un point de vue technique, c’est la photographie plasticienne qui est au cœur de sa création depuis plus de quinze ans, on comprend rapidement que cette dernière est au service d’une narration, d’un discours sur la société contemporaine, avec une imprégnation assez forte de culture urbaine et de questionnement environnemental. Jouant sur la mise en noir et blanc sélective de ses clichés et recourant au collage numérique pour mettre en scène son propos, l’artiste a longtemps eu une esthétique reconnaissable au premier regard avec des personnages colorés évoluant dans un décor gris évoquant la vie urbaine faite de béton et d’acier.

Françoise Peslherbe – Zone rouge, zone verte – ©Photo Georges Dumas

Mais à l’occasion de cette avant-dernière édition de macparis, elle a choisi de montrer en parallèle un travail plasticien qui s’appuie sur le détournement de jerricans en tant que symboles de la société industrielle bâtie sur l’utilisation du pétrole dans presque toutes les activités économiques. Des jerricans que Françoise Peslherbe habille, à partir de marouflages ou de transferts photographiques et d’inclusion d’éléments végétaux par de la résine, aux couleurs d’une nature malmenée par l’exploitation de l’or noir. Ce faisant, elle approfondit le sillon critique qu’elle avait tracé à travers sa photographie narrative, en réintroduisant de manière explicite le fantôme qui hantait ses compositions passées, à savoir la nature évacuée de nos villes, mais en conservant ce qui fait sa patte artistique : l’art du contraste et du carambolage.

Jusqu’au 25 mai 2025 – macparis – Bastille Design Center – Paris 11ème

En Une : Vue générale du salon depuis le 1er étage – ©Photo Georges Dumas

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