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On en parle

A l’ombre de l’architecture Cistercienne

Christian Noorbergen, le 15 juillet 2020

Oubli des lieux installés, fabriqués, assurés, rassurants, froids, branchés, et trop ou trop peu fréquentés… Que l’abbaye d’Auberive, à l’ombre d’un modeste département, la Haute-Marne, soit l’une des plus accomplies de France, et mérite, parmi d’autres sites grandioses, une grande visite, le choc véritable est ailleurs.

Quelque chose de grand existe là. Auberive est plus qu’un haut lieu d’art. L’art le plus âpre, le plus dur et le plus troublant a trouvé sa demeure, par la grâce d’une sublime demeure et par la généreuse puissance d’une volonté incarnée.

D’abord une formidable trilogie serbe, enfin réunie, avec les poids lourds que sont Dado, Ljuba et Vladimir Velickovic. Dado est un barbare subtil, un sauvage raffiné, un monstre à démonstrations suffocantes, empoisonnées, insidieuses et délicieuses. Il écrabouille ses névroses personnelles – un tantinet scabreuses – pour en faire un jus déplorable et fascinant, comme un poison à déguster lentement, entre deux couleurs de base qui s’épandent comme du fiel, ou comme un filtre à réalité endommagée.

DADO – La Lapine – Huile sur toile – 250×121 cm – 1964

Sur les parois profondes de la préhistoire de l’être se déploie l’art sacrificiel de Velickovic, là où l’indicible creuse l’impossible, au bord impensable du souterrain humain. La nuit veille.

Vladimir VELICKOVIC – Paysage – Huile sur toile – 116×89 cm – 2008

Il y a aussi l’immense Eugène Leroy ! Chacune de ses peintures, marquée d’abstraction sensuelle, déborde de présence vitale. Une effusion pâteuse et tressaillante, écrasée du dedans, magma de terre charnelle et de chaos diffus, sourd du profond de la toile, où s’engloutissent les apparences.

Et sept fortes et âpres surprises venues du monde entier, de Satish Multhalli à Margaux Salmi, ou de Sam Le Rol à Marion Heilmann, récemment disparue. Installée depuis vingt ans dans un village de Haute-Marne, Marion Heilmann a bâti dans une absolue discrétion une œuvre forte, spontanée et savante, et autant reliée à William Blake qu’à l’art brut. Son espace est une merveille d’ouverture esthétique, et d’implacable maîtrise. Cette artiste, à elle seule, mérite le déplacement. Formidable surprise.

Marion HEILMANN – La carte du monde – aquarelle sur papier – 153×190 cm – 2001

Chaque œuvre présentée à Auberive – dont le fonds prodigieux a été montré à la Halle Saint-Pierre, à Paris, et récemment en Autriche – est lourde du poids immense d’une singularité fouillée jusqu’à l’os.  

A découvrir jusqu’au 27 septembre 2020
Centre d’Art Contemporain de l’Abbaye d’Auberive – Auberive (52)