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On en parle

Etincelant Cyclop

Chantal Vérin, le 8 juin 2022

“Dans la tête de Jean Tinguely”

Le “Cyclop”, parfois appelé “la Tête” ou “Le Monstre dans la forêt”, réalisé par Jean Tinguely avec le concours de Niki de Saint-Phalle, trône dans sa splendeur retrouvée dans les superbes bois de Milly-la-Forêt, en Ile-de-France.

“Il faut venir d’un pays très développé (en l’occurrence la Suisse – ndlr) pour se lancer dans quelque chose d’aussi absurde“, affirmait l’artiste vénézuélien Jesus Rafael Soto. L’ensemble, prodigieuse machinerie animée et sonore, tient du monstre absolu.

Cyclop – © Photo Christian Noorbergen

On voit des poutrelles métalliques, des matériaux de construction récupérés, des barres, des roues d’engins agricoles, autant de rebuts d’une société, qui sont le reflet des métamorphoses de l’époque, à l’heure de l’émergence de la société de consommation. Jean Tinguely en fera une formidable machine à visiter, inutile, déraisonnable, contre toute rentabilité et toute visée productiviste, affirmant la noblesse de l’acte désintéressé.

La sculpture est une composition à quatre mains. A Tinguely, la colossale structure métallique, noire et massive, à Niki de Saint-Phalle, la tête rutilante de mille éclats renvoyés par un complexe jeu de miroirs, modulés pour s’adapter au modelé du visage. Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely se plaisaient à souligner les contrastes et la complémentarité de leurs œuvres. Et une floppée d’intervenants !

Cyclop – ©Regis Grman

22,5 mètres de hauteur, 350 tonnes d’acier, 360 m2 de miroirs découpés, la sculpture aux colossales mensurations a l’apparence d’une tête démesurée. On y reconnaît un inquiétant œil, une large bouche d’où s’échappe un flot d’eau, une oreille mobile d’une tonne ! Et l’anthropomorphisme n’est pas qu’extérieur. Il concerne aussi l’intérieur de la construction : passerelles, recoins, rouages qui tournent et grincent, tout un parcours labyrinthique qui invite à faire un parallèle osé avec la circulation des messages dans le cerveau humain.

Dès l’origine, l’œuvre a été affirmée comme un lieu interactif de partage, de création et d’échanges. Bâtisseurs ingénieux, inventeurs autoproclamés ont mêlé leurs talents aux créations d’Eva Aeppli, Arman, César, Daniel Spoerri, tous exposés ici…

Hommage aux déportés – Eva Aeppli

Le ventre du monstre est un insolite musée, loin des sentiers battus et de la sacralisation des œuvres muséales. On peut toucher la colonne de Niki de Saint-Phalle, parsemée de motifs porte-bonheur, traverser une œuvre sonore inouïe, découvrir au tournant d’un escalier les petites sculptures colorées du Piccolo Museo, découvrir la “Tour éphémère“, jeter un œil dans la misérable chambre de bonne reconstituée de Daniel Spoerri, l’ami de toujours, s’émouvoir de “l’Hommage aux déportés“, quinze “poupées” de tissu au visage blafard, fantomatiques, que transporte le wagon de marchandises de dix tonnes suspendu, en haut de la sculpture, au-dessus de nos têtes.

La nature est omniprésente. Les quatre chênes, qui poursuivent leur croissance au cœur de la structure, la vue sur la canopée, le miroir d’eau sur le toit, les bruissements de la nature et les chants des oiseaux, parachèvent cette inclassable œuvre.

Cyclop – photo Christian Noorbergen

Après plus d’un an de restauration pilotée par le Centre National des Arts Plastiques (Cnap), cette œuvre colossale est de nouveau visible par le public.

L’association Le Cyclop propose une riche programmation artistique et culturelle pendant la période d’ouverture.

Jusqu’au 30 octobre 2022 – le Bois des Pauvres – Milly-la-Forêt (91)

En Une : Cyclop – ©regis Grman