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On en parle

Niki de Saint Phalle – Un art en toute liberté !

Nicolas Delamotte Legrand, le 6 décembre 2022

Niki de Saint Phalle (1930-2002) est connue pour ses œuvres aux formes enjouées qui explosent de couleurs. Cette création enfantine et ludique en apparence sera sa vie durant un moyen d’expression vital et même un mode de survie.

En 1953, une dépression nerveuse l’amène en effet à séjourner à l’hôpital. Elle commencera alors à peindre et à réaliser des collages. Sans formation artistique ni mentor elle s’exprime instinctivement et puise dans les méandres de ses pensées et de ses rêves. Elle se fraie ainsi grâce à la création un chemin vers la lumière et la vie. Les décennies 1960 et 1970 seront des années d’une luxuriance artistique remarquable placée sous le signe de la liberté. Elle s’affranchit des conventions et des codes de la société et de la création artistique avec fracas. A coups de carabine, elle créée ses tableaux-performance et se forge une réputation internationale.

Niki de Saint Phalle – Maquette pour l’Asklepio – Bois et mosaïque – 1998
©Galerie Delaive Amsterdam

Mais c’est surtout avec ses sculptures les “Nanas” qu’elle atteint rapidement une célébrité dans le monde entier. Ces œuvres joviales aux lignes assumées exhibent avec fierté les rondeurs féminines. Sans retenue elles clament et réclament l’acceptation, le respect et la célébration du corps de la femme sous toutes ses formes. Ce tourbillon artistique devient viral dès 1966 et Niki de Saint Phalle s’impose alors comme l’artiste féministe de la couleur. Sans pudeur elle modèle des personnages multicolores voluptueux. Les “Nanas” courent, dansent et virevoltent, toujours fortes et indépendantes. Les silhouettes rubéniques en mouvement s’affichent avec fierté pour casser un modèle féminin que la société essaie d’imposer. A la manière des “Barbapapa“, la légendaire famille piriforme inventée en 1970, les “Nanas” de Niki de Saint Phalle forment une tribu de créatures joyeuses tour à tour noires, bleues, vertes, qui réclament une égalité des sexes et des peuples, et expriment la puissante beauté universelle de la Femme.

Féministe et humaniste engagée, ses œuvres se diversifient et envahissent l’espace public de la France à la Californie. Avec Niki de Saint Phalle, l’art est une voix militante qui s’élève et claironne. Ses apparitions répétées sur les plateaux de télévision sont remarqués. Porte-parole de plusieurs causes, elle communique avec humilité autour de sujets de société tels que les droits des femmes, la lutte contre le racisme, la cause animale et le réchauffement climatique. Elle contribue particulièrement à éduquer le public autour de la lutte contre le Sida. Tout en douceur mais avec fermeté elle participe à réveiller les consciences. Son excentricité sophistiquée lui sert de bouclier et son art engagé d’arme irrésistible de création massive. Le changement des mentalités prend toujours beaucoup de temps et certains messages doivent être répétés et martelés pour être entendus et acceptés. Elle brandit avec élégance certaines de ses œuvres comme des étendards au service de messages de santé publique, de respect pour toute vie sur la planète et de paix.

Vue de l’exposition “Niki de Saint Phalle – Les années 1980 et 1990 : l’art en liberté”
aux Abattoirs, Musée-Frac Occitanie Toulouse du 7 octobre 2022 au 5 mars 2023
© 2022 Niki Charitable Art Foundation/Adagp, Paris ©photo Boris Conte

Quitter la matière organique pour s’émanciper vers l’oxygène !
L’artiste a des problèmes pulmonaires qui s’aggravent entre autres du fait des matériaux qu’elle utilise pour ses créations. L’air frais s’impose comme un élément essentiel dans sa vie quotidienne. Elle part en cure. L’oxygène qui lui est devenu particulièrement essentiel remplit également ses œuvres. En 1979 elle entame ainsi une série de sculptures aux silhouettes filiformes et tubulaires. Les “Skinnies” telles qu’elles les nomme sont comme un appel d’air. Et l’artiste de dire : “Les skinnies respirent. Ce sont des sculptures d’air avec des sujets mythologiques. Vous pouvez apercevoir le ciel ou la nature à travers eux. L’air est entré dans ma vie.(…) Respirer profondément, faire de l’exercice, marcher, rester proche de la nature m’a changé. Ces sculptures reflètent le changement.

Aux côtés de l’imposante carrure des “Nanas” apparaît la fragilité des “Skinnies“. Aux couleurs foudroyantes habituelles des premières œuvres s’ajoute une dimension de transparence et de légèreté. Les sculptures revêtent des ampoules incandescentes multicolores et les espaces vides façonnés se laissent traverser par le regard et la lumière. Sur des sculptures plus massives, les mosaïques de carrelages brillants se mêlent aux compositions en miroirs découpés et invitent également la lumière à s’animer. Les créations réfléchissent et projettent ainsi de l’énergie et de la lueur. Ses oeuvres respirent la vie, explosent de vitalité. C’est un fleuve d’oxygène et d’amour que Niki de Saint Phalle déverse sur le spectateur en l’invitant à ressentir l’art et à communier.

Niki de Saint Phalle – Vue exposition – ©Nicolas Delamotte Legrand

Un bestiaire extraordinaire
Fascinée par la mythologie, les symboles mystiques et surtout les animaux, les œuvres de l’artiste regorgent de bêtes extraordinaires et de créatures totalement improbables. Dans ses dessins, ses immenses sculptures-mosaïques, ses monstres monumentaux et ses animaux-totems, des symboles universels multicolores accompagnent souvent des textes poétiques floralement calligraphiés. Le serpent a une place prédominante dans ce joyeux bestiaire. Il incarne le cycle de la vie et la renaissance. L’exposition “Niki de Saint Phalle, Les années 1980 à 1990 : l’art en liberté” aux Abattoirs de Toulouse nous propose de sillonner de salle en salle dans l’univers décalé de l’artiste. On y découvre entre autres l’incroyable projet du “Jardin des Tarots” dont Niki de Saint Phalle a elle-même été la mécène.

Malgré l’apparente naïveté de ces œuvres, elles renferment souvent des messages et des revendications politiques très fortes et dévoilent la vision d’une femme-artiste totalement en phase avec son temps. Comme un labyrinthe extraordinaire, l’époustouflante scénographie permet aux œuvres de l’artiste de rentrer une fois encore en dialogue avec le public d’aujourd’hui.
Une exposition hallucinante et envoutante !

Jusqu’au 5 mars 2023 – Niki de Saint Phalle – Les années 1980 et 1990 – L’art en liberté – Les Abattoirs – Toulouse (31)

En Une : Les Abattoirs – Photo ©Nicolas Delamotte Legrand