« Les jeux du regard »
À l’occasion du centenaire de la naissance de Leonardo Cremonini (1925-2010) et des cinquante ans de sa première exposition chez le mythique galeriste genevois Jan Krugier, la galerie T&L pose ses valises dans la Vieille Ville de Genève du 20 novembre au 11 décembre. La dense lumière méditerranéenne marque la jeunesse de Leonardo Cremonini et marquera toujours sa peinture. Aveuglante clarté, dure et solaire, un rien écrasante, qui apporte une âpre lumière sur les subversives transgressions qui secouent chacune de ses œuvres. A la façon d’un théâtre éclairant somptueusement une possible scène de crime…
Chez Cremonini, l’impression d’un drame arrêté qui aurait stupéfié la vie est en phase avec l’extrême tension qui règne chez Bacon, crudité en moins. Les fines allusions érotiques du premier éludent les terribles débordements du second.
En 1966, Louis Althusser publie sur lui le premier et seul texte qu’il publiera sur l’art… La liste des écrits consacrés à l’artiste est exceptionnelle, de Michel Butor à Pierre Gaudibert, de Marc Le Bot à Régis Debray, d’Umberto Eco à Alberto Moravia, ou encore de Jean-Luc Chalumeau à notre ami Jean-Philippe Domecq…
Formidable voyeur, Cremonini transforme les demeures du quotidien en troublants huis-clos lourds d’intimité. D’étranges enfants, un rien animalisés, et dans l’attente de spectacles interdits, guettent indéfiniment ce que le spectateur ne verra jamais, l’accomplissement toujours différé d’impensables convoitises. Ce sont les meubles, ou les pieds de lits, qui intègrent formellement le jeu cruel des désirs à jamais inassouvis.
Des miroirs donnent à voir des souvenirs d’actes charnels, tandis que des fenêtres peintes, tableaux dans le tableau, ne permettent aucune échappée. Sur des plages improbables souvent salies de pure peinture – Cremonini ne craint pas la tache qui accidente l’étendue – des corps d’adultes s’abandonnent à l’absence des rêves, tandis que des chiens monstrueux et vaguement humanisés, disent la bestialité latente d’une humanité fabriquée.
Subtilement, mais incroyablement transgressif, Cremonini invente les plus sidérants labyrinthes de regards qui soient. Haute peinture piégée.
Du 20 novembre au 11 décembre 2025
Galerie T&L – Genève
En Une : Les voiles du désir – 1971 – Huile sur toile – 62×53 cm – © Galerie T& / Adagp, Paris, 2025