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On en parle

Art et Animalité

Christian Noorbergen, le 12 avril 2020

Les êtres-animaux peints ou sculptés jamais ne font peur. Ils sont d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ils sont d’archaïque et sidérante présence, et d’innocence absolue. Les êtres-animaux savent des choses sur l’univers que les hommes ne savent plus.

Plus que les humains fragiles, ils éprouvent directement le sol, l’eau ou le ciel. L’artiste ne cherche pas à adoucir leurs contours, et ne succombe pas au charme commode de l’ordinaire stylisation. Sa gestuelle est arrêtée au vif de la surprésence animale. Chaque animal est un autoportrait détaché, sensible et lointain. Un frère d’altérité. Chez l’artiste de l’animalité, prodigieusement respectés et sans fioriture anthropomorphique, les animaux ne vivent pas pour les humains. Ils sont nés de la terre et non du regard des hommes, et leur présence est rude et massive. Ils rejoignent ainsi les pures merveilles imaginantes de l’enfance.

Noblesse mentale, noblesse animale et noblesse des matériaux, chez l’artiste, s’accompagnent, et font voyage intemporel et vital, tant les formes animales, ici densifiées, dépassent les mémoires humaines. Elles sont mémoire de toute humanité. Les animaux sont notre solitude habitée. Ils méritent donc la terre et nos regards.

Plus ancienne que la présence humaine, l’image sidérante du corps animal, des sommets du divin jusqu’au gouffre de l’intériorité, hante la création contemporaine. Au cœur de la préhistoire, les bêtes hantaient en profondeur l’esprit des grottes et les rêves des hommes. Durant des milliers d’années d’histoire de l’art, l’animal devance étonnamment l’apparition humaine, mais quand l’homme devient gardien de troupeau, l’animal-dieu disparaît au néolithique. Le gibier devient bétail… Si l’animal est de nos jours la victime saccagée de notre modernité, il hante à jamais nos mémoires vitales. S’il meurt partout sur terre, il survit symboliquement au cœur de l’art. Les animaux sont maintenant nos doubles fragiles, nos sources d’enfance abandonnée, et nos sombres frères nocturnes.

L’animal-dieu rêve encore à vie haute. Il dit l’intimité oubliée de nos origines. Il fait passerelle à nos sources lointaines. Il incarne nos élans oubliés. Dans l’art de l’animalité, rien n’enferme la pensée symbolique, et les miroirs des mythes – qui ouvrent les espaces – s’éclatent au profond de l’œuvre. Infinies sont nos traces d’animalité, en pays d’art étrange et fragile.